Interview : Marie Rose MORO |
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"Des médicaments dans les trouvbles de conduite des enfants ?" |
« La vision de l’INSERM est simpliste, réductrice »
Source http://www.humanite.fr Marie-Rose Moro est pédopsychiatre, professeur et chef de service de psychopathologie à l’hôpital Avicenne (Seine-Saint-Denis). Que pensez-vous de la préconisation de - l’IN- SERM de prescrire des médicaments en deuxième intention dans le cas de troubles de conduite de l’enfant ? Marie-Rose Moro. La semaine dernière, des parents par ailleurs enseignants et leur petit garçon de sept ans m’ont rendu visite après avoir lu un article dans le Monde concernant cette expertise. Très angoissée, la mère m’indique que son fils unique n’est pas concentré à l’école, qu’il bouge tout le temps, bref qu’il souffre des symptômes décrits dans l’étude. Très vite, elle me réclame un médicament. Après m’être présentée à lui, je demande à l’enfant s’il sait pourquoi il est là. Ce dernier me répond : « Parce que je suis un petit monstre. Parce que je n’ai pas de frère et de soeur et que je fatigue les adultes. » Les parents ont été très impressionnés par la réponse de leur fils. J’ai trouvé un garçon très triste, souffrant de solitude, surinvesti par ses parents et vivant beaucoup dans un monde d’adultes. J’ai reposé la question aux parents de la validité d’un médicament. Sa mère m’a répondu que « cela irait plus vite pour l’école ». J’ai refusé, proposant une psychothérapie avec le garçon une fois par semaine et une rencontre avec l’enfant et ses parents une fois pas mois, pour rétablir le lien et les échanges nécessaires entre eux. Nous avons convenu d’un travail de quelques mois. S’occuper de la tristesse de cet enfant est plus difficile que lui administrer un médicament mais plus efficace. L’analyse d’un point de vue biologique, comportemental, semble contraire à votre pratique de terrain... Marie-Rose Moro. Le système anglo-saxon sur lequel se base l’étude est une vision en tunnel, une vision uniquement biologique et comportementale. Or, en France et en Europe, nous avons une approche plus large de l’enfant, de son rapport au monde, de sa difficulté à trouver sa place, du lien avec l’ensemble de sa famille. La vision de l’INSERM est simpliste, réductrice et ignore l’importance des aspects affectifs, sociaux, culturels. Ces résultats ne correspondent pas à la réalité quotidienne des enfants et de leurs parents que nous voyons à Avicenne, qu’ils soient enfants migrants ou pas. Comment accepter ces normes et ces classifications ? Où est le travail de fond ? Vous qui venez d’ouvrir une Maison des adolescents à Avicenne, vous réclamez des moyens pour un véritable travail de fond... Marie-Rose Moro. Le 6 décembre prochain, nous organisons les états généraux de la pédopsychiatrie en Seine-Saint-Denis pour réclamer davantage de moyens et de possibilités d’action pour les professionnels de la pédopsychiatrie et leurs partenaires. En ce qui nous concerne, nous n’avons pas tout le personnel qui était prévu au départ pour la Maison des adolescents. La solution des médicaments risque de coûter plus cher en fait. Notre société est en danger car elle accueille mal ses enfants et ses adolescents, en particulier ceux qui ont besoin de soins psychiques pour se - reconstruire. C’est indigne d’une société comme la nôtre. |