A la Rencontre des idées et des pratiques en psychologie et psychanalyse

suite de la conférence : 'a guerre des fantômes'

La guerre des fantômes (suite)
Je vais citer Alicia RABUFFEL, dont je dirige le travail . Elle a eu l'occasion de s'occuper d'enfants abandonnés , quand ils étaient très jeunes , très petits, bébés , des petits enfants. Elle s'en est occupée et maintenant, ces jeunes femmes arrivent à l'âge d'être mères , elles ont des enfants . Et Alicia leur demande l'autorisation d'observer une situation standard : la toilette du bébé , les premières toilettes des bébés . On a des situations standard sur une population générale, on sait comment une population de mères, s'adresse à ces bébés statistiquement.

Statistiquement , on sait qu'une mère va s'appliquer , sourire , parler , toucher ; on sait que les pères vont être moteurs , soit en prenant les bébés sous les aisselles , soit (et il y a un jeu typiquement viril ! ) en faisant pédaler les bébés . Alors pour ça , les femmes sont très mauvaises ! On a fait ça avec Maurice OHAYON , on prend des populations de femmes et on compte le pédalage qu'elles font avec leurs bébés . Les femmes sont vraiment mauvaises pédaleuses ! Alors qu'en revanche , les hommes eux, sont d'excellents pédaleurs , très souvent lorsqu'ils toilettent les bébés , ils prennent les jambes du bébé et toc , toc , toc ! Ils le font gambader! Et la moyenne statistique d'un papa qui toilette , c'est 10 à 12 pédalages par toilette , avec une variance très faible . Alors que les femmes , ça varie de 3 à 5 , ou de zéro ! Les femmes sont de mauvaises pédaleuses !

Donc on a une population standard et on sait comment une mère et un père vont se comporter statistiquement . Ces jeunes mères qui ont été abandonnées lorsqu'elles étaient enfant , qui deviennent mères à leur tour, sont pétrifiées devant leur bébé . C'est à dire qu'elles n'osent pas . L'expression , quand on parle avec elles c'est : elles n'osent pas toucher le bébé . Alors elles le regardent et on palpe presque l'angoisse de ces jeunes mères qui se forcent à s'occuper du bébé . Donc ça veut dire que lorsque ces mères-là ont deux enfants , on peut faire l'hypothèse que le 1er enfant leur a appris leur travail de mère et que le 2ème enfant n'a pas la même mère que le premier .

Pour répondre à la question de M. HOUZEL ce matin , sur les jumeaux monozygotes , on s'était posé la même question et on avait fait un travail sur ces jumeaux monozygotes.

Alors on va dire que Madame S. est enceinte, et la 2ème échographie permet de prédire qu'elle va mettre au monde des jumeaux . Et après la naissance des jumeaux, on lui demande: "Madame est-ce que vous acceptez qu'on filme une situation standardisée, c'est à dire quand vous nourrissez le bébés ou quand vous les toilettez ?" Elle accepte , on filme pendant 10 minutes , et on analyse les items comportementaux, on n'embête plus la dame et ses bébés . C'est une méthode éthologique en principe simple .

Et on rend observable que Madame S. n'a pas du tout les mêmes comportements avec un bébé ou avec l'autre . Pourtant ce sont des bébés homozygotes qui se ressemblent étonnamment ! On demande alors à la mère comment elle a fait pour les reconnaître . Et cette dame de répondre : "C'est bien simple , regardez celui-là , c'est Mathieu , il a la tête longue et celui-là , Thomas , il a une tête ronde."

Alors , ce ne sont pas leurs vrais prénoms , je prends une proximité phonétique . Parce que très souvent , les mères qui ont des jumeaux surtout homozygotes , choisissent des prénoms à proximité phonétique . On va donc dire Mathieu et Thomas , et on lui demande : "Vous êtes sûr que l'un a la tête longue et l'autre la tête ronde ?"

Et cette maman nous répond : "Mais oui , tenez , regardez !"

On ne voit rien mais elle , elle a vu quelque chose . On met les bracelets et on se fie à eux , alors que cette mère se fie aux crânes. Mais nous nous demandons tout de même : Mais qu'est-ce que cet indice morphologique peut bien signifier pour elle ?

On discute avec elle , et elle nous apprend ceci : "Voilà , j'ai été abandonnée à 18 mois et je me suis jurée d'être une mère parfaite." Surcompensation . "Je me suis jurée d'être une mère parfaite . Donc , ce bébé-là qui a la tête ronde , il a la forme d'un bébé ; et celui-là , qui a la tête plus longue , j'ai l'impression qu'il va vieillir plus vite." On est en pleine puissance des fantômes ! C'est à dire que les fantômes agissent par l'indice morphologique que nous on voyait à peine, mais qui pour elle signifiait : "Celui-là, c'est un bébé et je vais le garder bébé longtemps et avec lui, je vais être une mère parfaite ! Celui-là, il va vieillir trop vite et je ne serai pas une mère parfaite ."

Ensuite , on leur propose : "Madame est-ce que vous acceptez qu'on filme quelques situations ?" Et dans les situations standardisées qu'on a filmées tous les mois , on constate que Tête Ronde , c'est à dire le vrai bébé , elle lui parle en premier , elle le nourrit en premier , elle lui sourit quatre fois plus que Tête Longue . Et bien sur , Tête Ronde a un flux parolier beaucoup plus important que Tête Longue.

Des bébés de même équipement génétique , c'est ainsi qu'on dit, avec la même mère , au même moment , n'ont pas du tout la même mère ! Les fantômes ont frappé à cause de l'histoire de la mère . Ils ont utilisé un indice morphologique pour induire les comportements de la mère et pour la faire se comporter avec un bébé de manière totalement différente d'avec l'autre . Et ces développements de jumeaux homozygotes, qui génétiquement , nous a-t-on fait croire pendant un moment, auraient dû être identiques, sont devenus très différents. En réalité on voit que les fantômes utilisent la matière pour agir , et ils peuvent ainsi organiser le monde sensoriel autour des bébés . Ils façonnent , tutorisent , le développement des bébés .

Alors , je vais arriver à la conclusion . J'avais prévu d'autres idées mais on en parlera sûrement au hasard .

C'est à dire que ces modèles ces MIO , ces MOI , ces modèles opérants internes , ont été imprégnés dans une mémoire procédurale imagée , épisodique , ou sémantique , par les récits de soi sur soi : "Qu'est-ce qui m'est arrivé ? Comment je vais faire pour m'en remettre ?" Par les récits de la famille sur soi : "Ce qui t'est arrivé est terrible ! On va plonger , on va être malheureux avec toi ." Ou encore des récits de la culture sur soi: "Avec ce qui t'est arrivé , tu es foutu ! Tu ne pourras jamais t'en remettre!"

Alors ça , ce sont des prophéties créatrices ! Elles sont pourtant régulièrement employées au cours des traumatismes . Les avocats presque toujours , pour défendre un enfant ou croyant défendre l'enfant , disent à l'agresseur : "Monsieur , avec ce que vous lui avez fait , cet enfant est foutu pour la vie!" Vous l'avez entendu ! Ça se dit ! Vous savez bien que ça se dit ! Pourtant , les avocats ne sont pas plus méchants que d'autres ! Simplement , ils croient défendre l'enfant. Mais l'enfant lui , il entend ce monsieur , cette dame qui sait tout, qui l'aide, qui est là pour le défendre, qui est un professionnel, et qui lui dit "qu'il est foutu pour la vie!" Quelle prophétie créatrice ! Et voilà encore un coup des fantômes ! C'est à dire qu'ils peuvent manipuler les adultes pour qu'ils blessent les enfants .

Alors un dernier exemple avant la conclusion , je soigne en psychothérapie Madame B. Et cette dame a eu une épreuve horrible . Son grand frère avait une phacomatose c'est à dire que pour ceux qui dans la salle , ont vu "Elephant Man" , c'est ça , une tête et des yeux déformés . Il ne peut pas sortir tellement son visage est déformé et il reste enfermé chez ses parents . Les parents ont une petite fille , Madame B. et cette petite fille se développe plutôt pas mal , en compagnie de parents plutôt gentils , et en compagnie de ce frère . Jusqu'au jour où le frère , "Elephant Man" , se glisse dans le lit de la petite fille . Et elle dit ce que disent presque toutes les petites filles ou les femmes dans ce cas-là : "Si je dis à maman ce qui est arrivé, elle va en mourir !" Donc la petite fille se tait et subit ça pendant plusieurs années . Et ce type de secret , c'est vraiment le secret archi-lourd . Et puis , les phacomatoses donnent très souvent des cancers , le frère a un cancer , et meurt . Madame B. me dit : "Quand j'ai appris que mon frère allait mourir , j'étais folle de bonheur ! Je suis un monstre !" Et elle vit avec ce secret vissé au fond d'elle-même et avec le récit de soi , la représentation de soi : "Je suis un monstre !" Bien sûr , elle va se comporter comme un monstre , puisque les monstres , il faut les brider , les punir !

Et puis elle épouse quand même un homme avec qui elle a un garçon et une fille . Elle mène sa vie , se débrouille plutôt pas mal . Et les hasards de la vie , font que le fils devient étudiant en médecine et vient me parler de sa mère en dehors des relations de psychothérapie; et que la fille , infirmière , vient me demander à son tour , de faire un parcours psychothérapique . Et qu'est-ce que j'entends ? Par la bouche du fils et par la bouche de la fille : "Je crois qu'il y a un lourd secret , je crois qu'il y a eu des relations incestueuses entre ma mère et son frère ." Comment ont-ils fait pour le savoir ? La mère me soutient qu'elle n'a jamais pu parler de cela . Probablement que les fantômes ont frappé , comme tout à l'heure pour la petite fille . Mais là , quelque chose a dû s'exprimer et les enfants ont compris pré-verbalement , puisque cela n'a jamais été dit , peut-être jamais été dit .

Un autre exemple tout à fait contraire . Celui de Monsieur S. qui a été déporté à Auschwitz. Il reprend ses études après sa déportation , il devient professeur . Devinez de quoi ? De psychologie ! Et il a un garçon très brillant , qui rentre du 1er coup à Normale Sup. , très brillant mais très anxieux . Et puis ce fils , découvre sur le tard que son père a été déporté à Auschwitz et il dit: "Mais papa , je suis anxieux parce que tu n'en as jamais parlé!" Et le père répond : "Comment peux-tu dire cela ? Non seulement je t'en ai parlé , j'ai même écrit un livre là-dessus!" On revoit le fils qui , bien sûr , s'était arrangé pour ne pas lire le livre et soutient que son père ne lui en a jamais parlé ! Et là-aussi , les hasards de la vie, font que j'ai pour amis, des témoins qui savent, qui ont assisté aux explications du père adressées à son fils. Alors, le fils n'est pas sot ? Il n'a pas pris le livre à la bibliothèque, il a entendu son père biologiquement , mais pas psychologiquement. Et là les fantômes , ont obligé le fils à se défendre de manière automutilante, pour ne pas avoir à subir le fantôme du père .

Alors je vais terminer en disant qu'il faut bien sûr faire la guerre aux fantômes , qu'on ne peut pas tuer les fantômes puisqu'ils sont déjà morts , mais on peut effacer leurs draps , on peut user leurs draps , les rendre moins visibles , moins blancs , moins puissants . On peut essayer d'enlever un peu de leur puissance . La mémoire procédurale , celle qui court-circuite notre cerveau , elle existe toute notre vie . Mais elle est de moins en moins active . C'est à dire qu'on peut apprendre toute notre vie, mais que c'est quand même dans les petites années, qu'on peut apprendre le plus vite . Alors cette mémoire procédurale , si on n'oublie jamais , elle est quand même moins puissante . La preuve , la Guerre de Troie pour nous , c'est une pièce de théâtre, quelques tableaux , alors qu'il y a quelques millénaires, c'étaient des souffrances . Dans le réel , la Guerre de Troie a été une réelle souffrance . Pour nous aujourd'hui , ça réfère uniquement à des ouvres d'art . Donc l'usure du temps , fait que de toute façon , la mémoire procédurale ne va pas s'oublier , mais elle va se transformer , elle va s'estomper .

Et puis la mémoire épisodique , celle des images et surtout la mémoire des mots, fait que l'on peut en travaillant verbalement , provoquer un remaniement cognitif de cette mémoire c'est à dire provoquer , travailler à un remaniement émotionnel de ce qui nous est arrivé. Il n'est pas question d'oublier, il est question d'utiliser ça pour en faire quelque chose et pour l'éprouver émotionnellement de manière différente. Et là , c'est le travail de l'image , c'est le travail de la parole . Ce travail de la parole , il ne peut pas se faire seul , parce que sinon cela donne des ruminations. Quand la parole est partagée , là on a cette curieuse mathématique qui veut qu'un plaisir partagé est multiplié par deux, et une souffrance partagée est divisée par deux. Parce que le simple fait d'avoir à dire quelque chose à quelqu'un , sa simple présence muette, fait qu'elle est co-auteur de mon discours.

Donc la parole partagée permet ce remaniement cognitif et la parole écrite aussi: pièce de théâtre , engagement politique , engagement militant . Tous ces engagements dans la vie sociale , dans la vie affective , dans le partage , permettent de provoquer un remaniement cognitif et permettent de mettre à mort les fantômes .


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