La thérapie familiale psychanalytique (suite) |
1 – Etre sujet, et sujet du groupe Je
vais citer quelques auteurs qui ont dit cela beaucoup mieux que je ne le ferai. Pour Didier Anzieu : Le sujet, pour sa construction est donc d’emblée dépendant
et dans l’obligation de se dégager de sa dépendance à l’égard du groupe
qui l’accueille pour pouvoir se penser sujet. Dans une illusion autocréatrice,
il s’agit de se croire une personne, avec le sentiment d’une identité et
d’une continuité de soi. Cette croyance a pour résultat de nous faire adhérer
à notre être, de nous permettre d’habiter notre vie et notre corps. Il ne s’agit pas d’un savoir, mais d’une conviction.
Conviction qui doit supporter constamment l’épreuve du doute, du
questionnement constant au travers de l’énigme du « qui suis-je ?». Piera
Aulagnier a une formule : « l’espace où le « je »
peut advenir » qui définit l’espace de l’autre, du groupal, du temps
générationnel. Devenir sujet exige une double identification : une
identification au groupe, au culturel, au travers de la mère qui en est le
porte-parole ; et une identification à soi même en tant que sujet que
Piera Aulagnier définit en tant que acte identifiant que je simplifie dans la
formule : « je suis parce que je pense que je suis ». Il s’agit de
s’approprier son destin, non pas au non du hasard, passivement, mais au nom
des réponses singulières, que « je » ai données pour faire
face aux évènements de ma vie. Etre sujet de ma vie. C’est un mouvement d’auto-attribution. Finalement, il s’agit, par la mise en œuvre des psychothérapies
d’approcher l’objectif que désigne André Green et qui serait que tout
sujet accepte que : « Tout
ce qui est en moi fait partie de moi. Tout ce qui a été mis en moi a été réapproprié
par moi. Tout ce qui est en moi, en fin de compte, est mien. Mien, c'est-à-dire
en possession de mon Moi et non pas greffon ou parasite d’organisme qui serait
étranger à moi. » Une vignette clinique : Je voudrais vous faire part
d’une courte vignette clinique qui me semble illustrer ce que j’essaie de
vous dire. Meriam, une petite
fille de 8 ans que je reçois avec sa maman, est plutôt silencieuse et
opposante en thérapie. Lors de cette séance, elle griffonne nerveusement un
gribouillage. Peu satisfaite, elle retourne la feuille puis s’applique à
tracer une boucle complexe, fermée. Elle a visiblement pour ce nouvel essai, un
souci esthétique. Sa maman et moi l’observons
dans une rêverie silencieuse. Meriam choisit soigneusement
les couleurs dont elle remplie les espaces fermés de la boucle. -Je commente : « c’est
comme une pelote qui devient un tableau ». -Meriam : « un fil ;
dans la vie, on tient un fil…est-ce qu’on peut se tromper de fil ? Des
fois des fils ne sont pas solides » Elle m’explique (à cause
de son expérience, elle n’est jamais sûre que les adultes soient aptes
à comprendre ses désirs) : « les fils, c’est ce qui arrive dans
la vie…on choisit, des fois on choisit, des fois, on choisit pas… je ne
sais pas si on a le droit de changer de fil…je ne sais pas »(elle est rêveuse.
Je pense que la question de changer de fil, changer de vie, concerne directement
sa mère). -Elle poursuit :
« maman, tu dis rien ce soir ». Puis elle se tourne vers moi
« toi, tu es… bioschologue » (Meriam possède un vocabulaire
riche, elle connaît bien le mot psychologue que pourtant elle ne parvient pas
à retrouver) J’entends le préfixe bio
et je suis émerveillée de ce que cette petite fille me dit ; je me sens
promue au rang de spécialiste de la maïeutique. -Je dis que chacun tisse avec
ses fils, chacun à sa façon, même avec des fils qu’on ne croit pas solides. -Meriem : comme un
tricot alors, à quoi ça sert les fils pas solides ? -Psy : c’est ça qui
est difficile, tisser avec des fils pas solides… -Meriem : à quoi ça
sert ? -Psy : c’est peut-être
le motif…(j’entends en le disant, que je parle du désir) le dessin du
tricot… -le plus important, c’est
le tricot. Comme la séance se termine :
« je le continuerai la prochaine fois ».(et je pense sans le dire
qu’en effet, qu’il est essentiel que l’œuvre soit toujours en cours de création)
2 - Les processus à l’œuvre dans le groupe: Nous avons
tous l’expérience de la vie en groupe. Nous avons conscience que cet
ensemble est différent de l’agrégat des individus qui le composent. Définition du groupe : Il s’agit
d’une entité groupale, d’un objet groupe, au sens psychanalytique d’objet
de la pulsion. Pour qu’on puisse parler de groupe, il faut que les membres du
groupe partagent l’opinion qu’ils appartiennent au groupe, celui-ci
devient alors source d’affects. Ils partagent la croyance en
l’existence d’une réalité-groupe, c’est un fantasme. Les expressions tel
que « la vie du groupe », « le groupe agit comme un seul
homme » indique bien qu’il s’agit d’un tout,
ayant un fonctionnement supra-individuel, un ensemble cohésif. Un groupe
se caractérise par une certaine cohésion affective et une unification des
conduites. L’individu a alors tendance à renoncer à ses propres désirs au
profit de la cohésion du groupe.Il va s’assujettir à la représentation
qu’il se fait des exigences du groupe. Son expression personnelle est
empreinte de ces contraintes : ne pas être exclu, ne pas faire éclater le
groupe. L’illusion
groupale d’entente exige l’assujettissement des individus. Dès
lors, le sujet vit un conflit interne, selon deux pôles, dans une oscillation : -- d’une part
revendiquer ce qui le distingue des autres, sa singularité, les petites différences
(référence à Freud et au narcissisme des petites différences) -
d’autre part, renoncer à une affirmation de soi trop vive, se laisser bercer
par les sirènes du fusionnel, la perte des limites du soi. C’est une réactualisation
d’un état primitif de la psyché, état d’indifférenciation fusionnelle où
l’enfant ne différencie pas encore son corps de celui de sa mère,est au
service d’un sentiment de sécurité et de bien-être. Pour Bion, c’est un
état proche d’une dépersonnalisation. Le
fantasme groupal et l’appareil psychique groupal : Dans un
groupe les discussions s’accordent de manière inconsciente, une remarque
faite par l’un est reprise par un autre membre et développe un thème, (métaphore
du thème musical) donnant « voix » au groupe, au fantasme qui le
traverse. Le concept d’APG est une fiction théorique qui permet de penser le
psychisme du groupe. Les thérapeutes
familiaux parlent d’interfantasmatisation et en tant que thérapeute, on
peut ainsi avoir une écoute groupale qui est l’écoute de la chaîne
associative dans le groupe. Exemple
clinique d’une chaine associative groupale : En thérapie,
cette famille de 3garçons est très bruyante. Les paroles fusent, tout se passe
très vite, sans que nous puissions repérer l’expression de chacun. La mère
se plaint de chacun des garçons, tour à tour fauteur de troubles, à l’école,
à l’église... « on entend toujours parler des B » -les thérapeutes :
« comme les Dalton ? » Cette représentation
de groupe fait l’unanimité. Sourires. Rires -le fils aîné :
« eh oui, maman, tu as trois garçons, faut-t- y faire…tu as trois garçons » -le second :
on est pas ta petite chérie Sonia…, ta petite chérie ( il parle de sa
cousine) …gnagnagna » -le père :
chez les B, ça bougeait,ça bougeait tout le temps,on était 10 enfants,
ça faisait du bruit. -la mère :
chez nous, on craignait le père , il tapait…. Vous voyez
comment, autour du thème de la fratrie, se déploient les associations qui évoquent
les imagos et les représentations émergentes dans cette famille. Représentations
concernant plusieurs registres : - du
fraternel -de la
différentiation sexuelle - des
fonctions parentales -du
registre transgénérationnel Le groupe
agit sur chacun des sujets comme un objet d’investissement de la pulsion. Le
but de la pulsion étant la satisfaction, chaque sujet investit « l’objet-groupe »
pour son plaisir. Plaisir narcissique, au service de l’image de soi, quête
identitaire, au travers du regard des autres. Scène où le sujet s’auto-identifie
dans un jeu de miroirs multiples où il se vit dans le regard « des autres »
le regardant. Complexité de l’unité groupale : « les autres »,
comme un seul regard, le regard maternel, toujours interrogé. Miroir pour le moi, fondateur du
sujet, constitutif du Moi, au travers des multiples facettes des regards du
groupe, et qui rappelle l’énoncé de Lacan à propos du stade du miroir :
l’enfant se voit dans le miroir en même temps qu’il se voit dans le regard
de sa mère qui le porte. C’est dans l’image que l’autre a de lui que
l’enfant se reconnaît Il me
semble que c’est dans cette scénarisation que se conjugue le compromis entre
l’individuel et du groupal. Le groupe familial se caractérise par 2 dimensions -une horizontale, par les liens d’alliance -un chaîne verticale, la chaîne des générations L’alliance :
Elle
concerne le couple, le choix amoureux. Ce choix est
guidé par des raisons inconscientes liées pour les deux partenaires à la résolution
du complexe d’Œdipe. Le complexe d’Oedipe préfigure ce que seront les
liens amoureux en rapport avec les liens précoces aux parents. 1- un choix narcissique :
Dans la constitution des couples narcissiques, la demande de complétude
adressée au partenaire occupe toute la relation. Le partenaire n’existe pas
en tant que tel : il remplit une fonction nécessaire à la vie de l’autre.
Les différences entre eux, incontournables, sont alors vécues de manière
dramatique : comme trahison, abandon, rupture du contrat de confiance.
Dans ce choix, préexiste la nécessité du déni sur les différences, sur les
conflits. Le groupe
familial va se construire sur cette communauté de déni qui va constituer la
loi du groupe. Il ne s’agit pas de secret, il s’agit d’interdits
concernant la pensée. Cet interdit empêche l’accès à la représentation,
l’accès à la symbolisation. 2
– un choix objectal : La libido,
cette force constamment présente (elle vise à la conservation de l’espèce)
oriente le développement psychique (cf. le complexe d’Oedipe) et pousse les
êtres humains à rechercher un objet sexuel à l’extérieur de la famille.
Le dépassement de l’Oedipe, en ce qu’il comporte sa part de déceptions
(puisque ce n’est pas l’inceste) d’illusions déçues, permet l’établissement
d’une relation amoureuse qui fait la part à l’autre, et à une négociation
avec la réalité. Le complexe d’Œdipe se conclue par le refoulement : le désir
pour le parent de sexe refoulé sur le moment de la liquidation de l’Oedipe,
reste inconnu de nous, et doit le rester. Nous n’aimons pas beaucoup nous rappeler que notre premier objet
d’amour concernait le parent de sexe opposé. Ce matériel, est inconsciemment
à l’œuvre dans le choix amoureux mais cela reste inconnu de nous. C’est ce
qui constitue ce que les TFP nomme le pacte dénégatif qui est la partie
inconscient du lien du couple. Le
pacte denégatif : c’est un contrat inconscient qui lie les partenaires
et qui exige que soit maintenu sous silence les raisons inconscientes, refoulées,
régies par les forces pulsionnelles de la sexualité en raison même de la
force de leur réactualisation dans le choix amoureux. Exemple
clinique Voici
comment dans un couple, l’histoire de l’un vient entrer en collusion
avec l’histoire de l’autre autour d’un déni : la famille P vient
consulter parce leur petite fille Chloé, 2 ans et demi, a des troubles à
l’endormissement. En particulier, lorsque sa maman la couche. En séance, le
papa se montre très prévenant pour sa fille. Je le trouve maternel dans ses
attitudes. Je
pourrai me contenter de repérer la différence d’attitude et penser que le
papa est plus sécurisant pour sa fille mais je remarque qu’en séance Chloé,
va de l’un à l’autre sans inquiétude, manifeste une tendresse égale pour
l’un et pour l’autre. Elle est active et autonome, elle s’intéresse aux
jouets qu’elle découvre dans la boite à jouets. La maman
ma parait angoissée par la question qu’elle amène en thérapie et que je
peux résumer ainsi : « sans doute n’a –t-elle pas des qualités
maternelles suffisantes puisqu’ elle ne parvient pas à sécuriser sa fille ».
Tout
semble le laisser penser. Lorsque
je questionne les images parentales de chacun des deux parents, ils évoquent
des pères dangereux et des mères peu protectrices. Madame évoque
un père curieux à l’égard de sa nudité. Elle s’est confrontée seule au
voyeurisme de son père. La mère, déprimée et soumise se détournait des
plaintes de sa fille. Monsieur
évoque un père autoritaire, disqualifiant, qui exigeait une soumission totale
à son pouvoir. Il trouvait un recours peu efficace auprès d’une mère elle-même
docile. Dans le
couple se répète la crainte que Zoé, en manifestant son affection à l’un
plutôt qu’à l’autre, désigne le mauvais parent, qui ne pourrait lui
prodiguer affection et sécurité et serait alors dangereux pour elle. Je vous
laisse deviner quels sont leurs fantasmes…qu’ils reconnaissent comme tels. Ils
identifient dans le conflit actuel du couple cette crainte : leurs disputes
tentant toujours d’obtenir de l’autre qu’il se soumette au verdict
« tu t’y prends mal, tu n’es pas un bon parent ». En thérapie,
ils semblent me prendre constamment à témoin de cette disqualification, à
charge pour moi de désigner le parent à disqualifier . La transmission : La question de la transmission
est très investie dans les familles qui répondent volontiers aux questions
concernant leur vie avec leurs parents. La plupart se sont déjà
questionnées sur l’hérédité, sur la répétition des erreurs de leurs
parents, sur l’impact de tel évènement de leur vie, sur les valeurs qu’ils
transmettent à leurs enfants. Beaucoup expriment la crainte de reproduire avec
leurs enfants les erreurs commises par leurs parents et dont en tant
qu’enfants ils ont souffert. Lors des premières séances de
TFP développent une recherche sur la causalité : « C’est
de ta faute si tout va mal » désigne à tour de rôle l’un ou l’autre
membre de la famille Lorsque les parents demandent
des conseils pour éviter les mauvaises attitudes éducatives, ils se désignent
eux-mêmes comme pathogènes. Parfois, il s’agit de la
crainte qu’une pathologie mentale dans les générations précédentes se répète,
comme par contagion. D’autre fois, un secret familial porte la responsabilité
de ce qui va mal dans la famille. Qu’est ce qui est
transmis ? Je l’ai dit, au sein de la
famille, dans l’amour pour les enfants, le pacte des négatifs maintient, par
la puissance du refoulement, l’amour parental éloigné de sa dimension
libidinale. C’est un rempart contre l’inceste. L’idéalisation de
l’amour maternel est un exemple de l’efficacité du refoulement et de la
transformation de la pulsion en amour a-libidinal. Si une famille a connu dans les générations précédentes,
la transgression de l’interdit de l’inceste, alors, le refoulement échoue
à permettre la symbolisation et l’amour et le rapprochement affectueux à
l’égard des enfants, se maintient dans le registre du réel, de l’agir de
l’inceste. ·
Par la culture les groupes sociaux, familiaux proposent au destin de la pulsion
refoulée, des schémas, sous forme de valeurs. Ce sont ces idéaux qui sont
transmis et constituent des objets disponibles pour les groupes sociaux. Ce sont
des modèles pour la sublimation. La culture est le support de leur
transmission. Le contrat
narcissique : Pour Piera Aulagnier, le groupe exigerait que le sujet
reprenne à son compte les lois de l’ensemble. L’ensemble pré-investit
l’enfant comme pouvant perpétrer l’idéal de l’ensemble. La place du
sujet lui est désignée, c’est la condition pour qu’il soit investi par le
groupe ; le sujet, de son coté, adhère en s’appropriant les énoncés
communs, avec la conviction qu’il s’agit d’une série de vérités. Il
s’approprie ainsi les lois des parents, le discours sur son histoire et son
origine, les lois implicites du champ social. Les lois des parents, c’est le
discours maternel, soutenu par le discours du père qui vient le valider et
l’inscrire dans le discours culturel, social comme une vérité. C’est cette
transmission qui inscrit l’enfant dans le groupe humain et dans la chaîne des
générations. Et
la transmission du refoulement, du clivage ? Les travaux
des psychanalystes actuels mettent l’accent sur le « négatif » de
la transmission. Freud avait posé l’hypothèse que le narcissisme de
l’enfant s’étaye sur ce qui manque à la réalisation des « rêves de
désir des parents ». Les recherches contemporaines insistent sur
une négativité plus radicale : ce ne sont pas seulement les désirs (et
donc les manques) qui organisent la transmission, mais à partir de ce qui et
advenu, ce qui est absence d’inscription et de représentation. Ce pourrait être
dans ce qui échappe à notre vouloir, à notre activité de représentation que
l’essentiel de la transmission s’effectue. Comment penser ce qui est irreprésentable ?
Ca fonctionnerait comme un message inconscient, non transformé de génération
en génération. Il s’agit de
la transmission trans-générationnelle : le matériel psychique ainsi
concerné, ce sont les traces des traumatismes anciens. Il se transmet sans
transformation, sans symbolisation. Un
début de thérapie : Je vais tenter d’illustrer comment, dans mon
contre-tranfert, s’inscrivent les éléments du transfert familial de manière
brute, non transformée, non symbolisée. C’est mon effort pour continuer à
penser qui permettra à l’adolescent d’exprimer ses affects. Ainsi,
dans la famille G, je suis extrêmement malmenée dans mes efforts pour penser.
Chaque membre de la famille semble s’attacher, à tour de rôle, à casser la
chaîne associative : de l’un à l’autre, aucun lien logique semble
t-il ! Loïc, le plus jeune des 2 enfants de la fratrie, est hypotonique.
Il répète « je suis fatigué » et « je ne sais
pas » d’un ton monocorde et lent. L’évocation
de l’histoire familiale ne fait pas sens. Les
parents m’interpellent « ça ne va pas mieux ». Dans
le transfert, je suis abattue, une somnolence me gagne. J’ai l’impression de
ne rien comprendre, qu ‘un secret nous interdit de penser Il
me faut un « sursaut » mental pour faire appel à la théorisation
et accueillir cette lassitude comme le symptôme familial d’une dépression à
l’œuvre dans le transfert. Les
mots mis sur les affects d’épuisement, de tâche trop lourde a permis au
jeune adolescent de se mettre à verbaliser des revendications et son agressivité
à l’égard de son père. Je
comprendrais beaucoup plus tard que cet épuisement était la réactualisation
dans la cure familiale, d’un état dépressif grave chez le père, non-dit
dans la famille mais dont l’affect fait retour dans le groupe familial
sous la forme des affects d’épuisement. Les
traumatismes non élaborés engendrent des non-dits. Ils concernents des
deuils non-faits, des transgressions incestueuses ou leurs équivalents, liés
à des affects de honte. Dans l’exemple clinique
qui suit je vous propose de voir comment s’établit, en quelque sorte « en
creux » la transmission du refoulé. Exemple
clinique / famille « Domi est une salope » On pourrait penser
que poids de la transmission pèse comme un déterminisme, comme une prédiction
qui empêcherait le sujet d’exister. Il reste pour nous tous l’écart
avec les énoncés de la transmission… qui est finalement l’espace du sujet.
C’est la manière singulière qu’à le sujet de se l’approprier qui le
constitue. 4 la thérapie
familiale Objectif :
Je l’ai dit, les traumatismes non élaborés altérent le travail d’élaboration
qui empêche la transmission des éléments identifiants pour le sujet. En thérapie
familiale il s’agit de permettre la réactualisation dans le transfert des
processus groupaux qui président à la naissance du psychisme individuel.
Le dispositif de la thérapie familiale vise à permettre que se réactualise,
par l’intermédiaire du transfert, les traces restées en souffrance, en panne
de symbolisation. Exemple
clinique : une famille vient consulter à propos du symptôme de leur fille
de 4 ans, Dorine, qui a des crises d’angoisse tous les matins à la séparation
avec la mère devant l’école maternelle. Pleurs, vomissements. A l’anamnèse,
la maman évoque le décès de sa propre mère quand elle avait 5 ans. Nous
pourrions nous contenter d’interpréter ce rapprochement, à propos d’une
angoisse de séparation et de perte, ce qui aurait certainement un effet de
soulagement. Dans
la perspective d’un travail en TFA, j’accueille le récit de cet évènement
traumatique en pensant qu’il est à l’œuvre dans les liens intersubjectifs
familiaux. Je recueille ce qui vient en signifier l’émergence dans le cadre
de la thérapie. Je note
que cette famille m’est adressée par une famille amie, venue me consulter
pour la même raison et qui transmet de notre travail une image très idéalisée : « un
miracle ! ». Je
pense au « miracle » du « retour » de la bonne mère :
c’est l’imago maternelle idéalisée qui pourrait cimenter ce groupe
familial constituant le fantasme groupal familial. Le
contenu de notre travail va confirmer que c’est bien l’idéalisation du
retour qui fonctionne comme un déni de la perte, qui est opérateur- psychique
pour cette famille : le choix amoureux lui-même en est imprégné,
s’exaltant sur le retour de monsieur T, après une absence de 10 ans. Lui-même
revendique sa capacité à être absent et toujours là quand il faut. A la
perte du côté maternel, fait écho le vécu d’abandon du père, enfant de
famille nombreuse, dont les parents, d’origine Italienne, travaillaient
durement pour nourrir la nichée : leur absence même venant signifier aux
enfants leur préoccupation parentale pour eux. Dans la
thérapie, Dorine, est dans l’obligation de confirmer de façon incessante la
qualité maternelle et qu’elle ne peut vivre sans elle. L’angoisse
de séparation de Dorine ne sera pas traitée individuellement. Au fil des séances,
les tensions s’apaisent, Dorine se décolle de sa maman, sautant de joie à
l’arrivée, toujours tardive du papa qui décide que, décidemment « les
filles ont vraiment besoin de la présence de leur papa ». Il lui
affirme qu’il sera toujours là quand elle aura besoin de lui et Dorine semble
pouvoir penser cette « présence », même à distance.
Progressivement, les séparations à la porte de l’école ne sont plus le lieu
du surgissement de l’angoisse. Ce que
n’est pas la TFP: La TFP
n’est pas la recherche d’un évènement dans le passé qui donnerait sens,
dans une perspective causaliste, à un symptôme,. L’anamnèse, la généalogie,
ne sont pas les causes du symptôme d’un des membres de la famille. Comme dans
l’analyse individuelle, les récits de l’histoire familiale, des histoires
personnelles, permettent de donner un éclairage singulier (dans le sens de la
singularité d’une famille) à ce qui est réactualisé dans le transfert
groupal familial. Le secret
sur un premier mariage est traumatique parce qu’il y traumatisme de la
rencontre avec un sexuel brut, faisant surgir un fantasme d’inceste trop prégnant. Les
indications : La famille échoue à être perçue par ses membres comme un
contenant stable et sécurisant (fantasme d’éclatement de la famille). Elle
ne constitue pas un pare-excitation des angoisses individuelles qui trouvent une
chambre d’écho dans les traumatismes non élaborés qui stagnent dans des
fantasmes partagés dans le groupe familial. En thérapie,
le bruit, l’agitation, empêche de penser. Les générations sont peu différenciées
et les enfants s’adressent de façon tyrannique à des parents débordés et
en grand désarroi. Les récits
ne font pas apparaître de chronologie, le temps paraît condensé ou figé. Les
identifications sont projectives, permettant peu d’associer, elles sont
« saisissantes » pour les processus d’élaboration. Les passages
à l’acte sont multiples, le réel, menace de faire irruption dans des scénaris
qui répètent les traumatismes des générations précédentes. Clinique : Dans la
famille A, l’enfant du deuxième mariage sera nommée Virginie. Effort
inconscient pour échapper au retour du refoulé incestueux. le
cadre : Le dispositif
de la thérapie familiale vise à permettre que se réactualise, par l’intermédiaire
du transfert, les traces restées en souffrance, en panne de symbolisation. C’est le
cadre en tant qu’espace symboligène qui va permettre le déploiement du
transfert et son interprétabilité. Il est
constitué des invariants (lieu, horaire, durée et fréquence des séances,
paiement) qui font l’objet d’un accord entre l’analyste et la famille, et
des règles d’abstinence et d’associations libres. La règle
de libre association est énoncée, en tant qu’encouragement à” parler
librement”, ce qui n’est pas une invitation à tout dire. Ce qui se
dit dans la famille se dit dans la dimension de l’espace privé. L’espace
intime reste l’espace de la sexualité parentale et des secrets individuels.
(Ce qui fait exister la préoccupation parentale de ne pas confronter les
enfants à des énoncés bruts trop excitants) Le
processus : Dans le groupe thérapeutique, le transfert familial se déploie: - sur le
cadre : il est perceptible par les manquements (absentéisme aux séances,
retards...) - sur l’objet-famille
qui est investie selon les modalités du déroulement du processus. Cette
« imago- familiale » est porteuse des illusions, des deuils, des héritages
familiaux. Cet héritage se manifeste souvent non symbolisé, par des
actings au sein même de la thérapie : il est en attente de symbolisation. Le
transfert sur la famille fait exister un “dedans” familial qui permet aux
membres de la famille de se reconnaître comme tel, chargé d’une histoire
familiale singulière, et permettant à chacun de s’individuer dans un groupe
familial que sa singularité ne menacera pas. -
sur le thérapeute : il est l’objet des projections des imagos parentales des
parents et engage le contre-transfert du thérapeute dans ses représentations
familiales. Le transfert nous permet
d’analyser les fantasmes qui se manifestent aux différents niveaux (archaïque,
pré-oedipien : fantasmes (non-fantasmes, en attente de figuration) de
morcellement, d’effondrement, de pétrification, angoisses catastrophiques de
mort, d’infanticide, violence fondamentale) et fantasmes oedipiens de
castration. En thérapie familiale la constitution de secrets individuels signe l’accès à l’intime, et au complexe d’Œdipe. Quand la souffrance subjective se parle, elle marque l’émergence de l’individuation et le dégagement du fusionnel familial. L’arrêt de la thérapie familiale se parle sur le registre de la subjectivation. |