A la Rencontre des idées et des pratiques en psychologie et psychanalyse

suite de la conférence : 'La face cachée du trauma'

La face cachée du trauma (suite)
La première remarque que l’on peut faire est de constater la succession d’événements potentiellement traumatiques vécus par Madame L. tout au long de la journée ou, plus exactement, pendant presque cinq heures. On peut relever : les explosions, l’avion, la descente des escaliers, les gaz supposés toxiques et, dans un tel contexte, le fait d’imaginer que son mari et son fils puissent être morts.
La deuxième remarque que nous devons faire, c’est de noter comment le vécu de l’explosion est à mettre en relation avec la destruction des tours new-yorkaises qui a eu lieu dix jours auparavant. Cela a non seulement déformé d’une certaine manière la perception de la réalité, mais a également favorisé l’impact traumatique en accentuant l’aspect dangereux et angoissant de l’explosion. Madame L. n’est pas atteinte de névrose traumatique appelée P.T.S.D. (Post Traumatic Stress Disorder) dans le D.S.M. IV que l’on traduit par Etat de Stress Post-Traumatique. Essayons maintenant de préciser ces notions. 

Du Trauma à la névrose traumatique
Le trauma se rencontre lorsqu’au cours d’un événement dit traumatique - on devrait en fait dire potentiellement traumatogène - la mort apparaît de façon violente, inattendue et subie comme c’est le cas lors de catastrophes naturelles ou accidentelles dues ou non à la volonté de l’homme. Dans l’expérience traumatique, le sujet entrevoit pendant un court instant sa propre mort ou celle d’autrui. L’impact traumatique est immédiatement suivi par l’effroi qui est cet instant de déshumanisation au cours duquel la victime se retrouve sans paroles, sans pensées et sans émotions. Puis viennent les phases de stress qui peut être adapté ou dépassé. Dans ce dernier cas, l’individu aura un comportement d’allure confusionnelle ou psychotique comme ce fut le cas pour Charles IX quelques jours après la nuit de la Saint-Barthélémy. Le roi fit venir son médecin Ambroise Paré et lui dit : « Depuis trois jours, aussi bien veillant que dormant, je vois des corps déchiquetés et des faces hideuses qui me harcèlent et m’invectivent. » Il s’agit là d’hallucinations dites péri-traumatiques. La névrose traumatique ne s’installe en général qu’après un temps de latence de quelques jours ou de quelques semaines, voire de plusieurs mois.
Ce qui fait trauma est que l’image traumatique, au lieu de se réfugier dans l’appareil psychique comme n’importe quelle autre image, fait effraction et va rejoindre l’inconscient originaire d’avant le langage que Lacan appelle le réel. Lacan nous dit que le réel ne cesse pas de ne pas s’écrire, et Freud nous dit que l’image traumatique agit comme un corps étranger qui constitue toujours une menace interne. Elle ne va jamais se dissoudre, donc elle présente une face d’incurable, mais un travail peut se faire autour d’elle afin de diminuer ou d’anéantir son pouvoir. Nous avons là la différence entre trauma et souvenir. 
Le trauma peut donc entraîner une névrose traumatique dont le symptôme significatif est la répétition qui se caractérise par le fait que l’image peut faire irruption dans la conscience sans y être invitée, aussi bien pendant l’état de veille que pendant le sommeil sous la forme de cauchemar. La victime revit alors la scène traumatique dans toute son horreur et toute son intensité comme si elle allait se reproduire exactement comme elle est apparue. Tout cela entraîne des transformations de la personnalité : un tableau anxio-dépressif peut apparaître, parfois accompagné de conduites addictives, de somatisations et de désordres neurovégétatifs.
Prenons l’exemple de Mademoiselle H. que nous avons rencontrée vingt-deux jours après l’impact traumatique. Elle circulait tranquillement en voiture quand elle voit arriver devant elle une masse de terre de douze mètres de haut et de plus de cent mètres de large qui est en train d’emporter deux hommes sous ses yeux. Elle pense naturellement qu’elle aussi va mourir. Quand nous la rencontrons, elle a le regard vague et reste silencieuse si on ne l’interpelle pas. Elle répond de façon à la fois monotone et lapidaire, mais dit à plusieurs reprises : « Je les ai vu disparaître ». Elle veut évidemment parler des deux hommes qui ont été emportés devant elle. Mais lorsque nous lui demandons ce qui se passe dans sa tête lorsqu’elle ne parle pas, elle répond simplement : « ça défile ». Elle nomme ainsi les images traumatiques qui s’imposent à sa conscience et définit bien ainsi ce qui caractérise la névrose traumatique. 
Mais tous les traumas ne sont pas dus à la mort et n’entraînent pas forcément une névrose traumatique. C’est ce que nous allons voir maintenant.

Le Trauma sans la mort et sans névrose traumatique
Nous savons par exemple que le sexe peut être traumatique quand il n’est pas à sa place, c'est-à-dire quand il n’est pas recouvert par le fantasme comme c’est le cas dans le viol et la pédophilie. Nous savons aussi que les pertes objectales et narcissiques peuvent également être parfois traumatiques. La perte d’un être cher ou d’un idéal peut être traumatique. Nous donnerons un premier exemple qui va nous permettre d’aborder en même temps la face cachée du trauma.

Le Traumatisme froid
Nous allons, pour commencer, vous parler de Monsieur M. Celui-ci a été victime d’un accident de la route. Son véhicule a quitté la chaussée et son ami a été tué sur le coup alors qu’il était assis à côté de lui. Il arrive, après un long moment de frayeur, à s’extraire de la voiture. Le lendemain, il se rend au travail comme si rien ne s’était passé. Quelques années plus tard, il est licencié pour raisons économiques. Il le vit très mal et va consulter un psychiatre à qui il veut raconter l’événement traumatique qui a eu lieu quelques années plus tôt et qui lui revient à nouveau à la mémoire. Le psychiatre lui dit qu’il ne faut pas parler de ces choses-là.
Sa femme raconte comment plus tard, après un repas de famille, son mari ayant consommé de l’alcool, elle a pris le volant pour rentrer. Lui est assis à l’arrière avec leur fils âgé de quelques mois. Ils ont un accident de voiture. Le véhicule a quitté la route : l’enfant est mort sur le coup. Pendant que son mari reste auprès de l’enfant, elle part chercher du secours. A son retour, elle constate avec stupeur qu’un autre accident a eu lieu. Un homme est étendu mort sur la chaussée : c’est son mari. Des témoins lui disent qu’il s’était jeté sous une voiture. Que s’est-il passé pour Monsieur M. ? 
On peut affirmer qu’entre son accident et son licenciement, si on lui avait demandé s’il était traumatisé, il aurait sans hésiter répondu qu’il ne l’était pas. En fait, Monsieur M. était atteint d’un traumatisme froid et n’était pas résilient, contrairement à ce qu’on aurait pu croire au lendemain de son premier accident. On comprend que ce qui définit un trauma froid, c’est qu’il est sans symptôme et donc inconnu du sujet. Il ne peut reconnaître son traumatisme qu’après son licenciement, c'est-à-dire une fois qu’il est réactivé. Le soignant se doit alors de permettre au patient certes de parler de son dernier traumatisme - ici le licenciement - mais aussi du traumatisme réactivé, puis bien sûr de lui-même, afin de voir comment il est lié à son trauma et à ses effets. 
Ici, la mort de l’enfant a dû être non seulement traumatisante, mais également réactivante de ces traumatismes anciens non parlés. On peut supposer qu’à ce moment-là, l’horreur de la mort a dû être tellement insupportable qu’elle a entraîné le passage à l’acte suicidaire.
Donc, après un trauma, une personne peut être atteinte d’un traumatisme froid et non d’un P.T.S.D. comme Monsieur M. nous le prouve. Ce qui caractérise un tel syndrome, c’est qu’il peut être réactivé lorsque le sujet est à nouveau fragilisé ou traumatisé par un événement.

Alice au pays de l’horreur
L’effet du trauma est parfois encore plus sournois, comme nous allons le voir avec Alice qui a été otage des FARC dans l’Amazonie Colombienne du 18 février au 28 mars 1994, c'est-à-dire pendant quarante jours. Nous la verrons à plusieurs reprises au début de décembre 2004 et à la fin février 2005 à la suite d’une réactivation traumatique.
Alice a été capturée en douceur avec son compagnon. Le lendemain matin, tandis qu’elle marche dans la forêt avec ses gardiens, elle aperçoit sur le bord du chemin des animaux dépecés avec les viscères bien apparentes. Elle s’imagine alors qu’elle va mourir de la même façon que ces animaux-là, espérant seulement qu’elle sera tuée avant. Elle ne sait pas que cela l’a traumatisée. Elle vit le deuxième élément traumatisant quelques jours après, alors que son moral est au plus bas. Un soir, tandis que la nuit est en train de tomber, elle croit que les arbres qui l’entourent sont des fantômes menaçants. Elle traverse là une phase dite de dissociation péri-traumatique qui est aussi un éventuel signe de trauma. Le troisième élément traumatique sera la libération, ou plus exactement l’instant où le chef des guérilleros qui les gardait les abandonne dans la forêt sans lui dire au revoir - se plaît-elle à dire - précisant seulement que d’autres combattants allaient venir les chercher. Il est clair qu’Alice était tout simplement atteinte du fameux syndrome de Stockholm, certes à son insu. Elle précise que c’est à cet instant précis qu’elle a rompu avec son compagnon. Le trauma est dû au fait qu’au moment de la séparation d’avec son ange gardien, elle a eu un sentiment de mort imminente et d’abandon qu’elle a immédiatement projeté sur son compagnon. Nous avons là un effet immédiat du trauma mais toujours à l’insu du sujet. On voit bien qu’elle est agie sans le savoir par le trauma. 
Cela va continuer, car les autres traumatismes aussi ont été réactivés. Alice nous raconte par exemple qu’un jour, en voyant une jeune femme au volant de sa voiture, elle a eu le fantasme de lui ouvrir le ventre et de plonger ses mains dans la chaleur de ses viscères. Ces idées ne sont pas venues par hasard. La veille, alors qu’elle était en formation, elle s’était accrochée avec un formateur et n’avait en particulier pas supporté qu’il ne réponde pas aux questions qu’elle lui posait. Il est évident qu’il lui rappelait les guérilleros colombiens qui, eux aussi, ne répondaient pas à ses questions, ce qui était insupportable. Le lendemain déjà, en se réveillant, elle agressa son compagnon en lui précisant qu’elle ne savait pas si elle pourrait passer la journée sans tuer quelqu’un. Dans la journée, elle eut la chance d’être prise en charge par un autre formateur qui a pu esquisser un débriefing. Elle dit que le fait d’avoir pu exprimer son fantasme l’a entièrement soulagée. Lors du débriefing que nous avons eu avec elle, elle a pu faire le lien entre les animaux dépecés qu’elle a vus en compagnie de ses gardiens et l’envie que ses mains soient au contact de la chaleur des viscères de la femme qu’elle aurait elle-même aussi dépecée. 
De son côté, le traumatisme vécu lors de la libération sera mis en relation avec le suicide de son frère. Celui-ci est mort quand il avait 20 ans et Alice 22 ans, deux ans avant le départ de celle-ci en Colombie. Elle a fait un deuil traumatique après la mort de son frère qui s’est manifesté essentiellement sous la forme d’une dépression masquée, au cours de laquelle sa passivité était telle qu’elle a dû abandonner ses études. Elle avait alors décidé d’aller travailler dans un orphelinat en Colombie.
Elle dit aussi que durant sa captivité, elle a appris à s’ennuyer, passant des journées entières à fixer la toile qui lui servait de toit. Parfois elle observait en permanence ses gardiens colombiens. On peut penser que ce sont bien des séquelles traumatiques qui lui ont permis à son retour en France d’obtenir un D.E.S.S. d’ethnologie après avoir soutenu un mémoire ayant pour titre : « On ne met pas un vilain corps dans un beau cercueil. » Formule utilisée par les thanatopracteurs qu’il lui a fallu beaucoup fréquenter pour son mémoire. Bien sûr on peut penser que c’est le corps de son frère qu’elle voudrait conserver, donc son mémoire est bien lui aussi l’effet d’un traumatisme. Alice nous paraît bien démontrer comment elle est l’agi des traumas à l’insu d’elle-même. 

Un Symptôme dû au trauma
Nous allons revenir maintenant à des effets plus clairs de symptômes dus au trauma. Parmi ceux-ci, on peut citer la dépression, comme nous l’avons dit lorsque nous avons présenté la névrose traumatique. Mais dépression et trauma peuvent parfois être cachés. C’est ainsi que s’est présenté Monsieur R. qui souffrait d’un trauma aussi extravagant qu’inattendu.
Monsieur R. vient à notre consultation parce que sa compagne lui a dit qu’il était de plus en plus dépressif. Il dit, lui, qu’il n’a envie de rien et que cela lui est venu depuis plusieurs années sans qu’il s’en rende compte. Il vient nous rencontrer en octobre 2004. On note une récente déception professionnelle qui ne semble pas tout expliquer. Nous arrivons à situer le premier changement de comportement en 1984. Il a alors 30 ans environ. Lorsque nous lui demandons ce qui s’est passé d’important pour lui cette année-là, il répond spontanément : « Fabius a remplacé Mauroy. » Il veut parler des deux Premiers ministres socialistes qui se sont alors succédés à la tête du gouvernement. Cela a signifié en fait pour lui qu’il ne verrait jamais le socialisme triompher comme il avait pu l’espérer. Il pensait que le gouvernement Mauroy était une étape de transition vers le socialisme ; mais l’arrivée de Fabius lui a fait comprendre qu’on se dirigeait vers la social-démocratie, ce qui était insupportable pour lui. Nous avions vu que la perte d’un idéal pouvait être traumatique ; Monsieur R. nous a permis de le vérifier. Notons qu’il est récemment sorti de la dépression après avoir établi des liens avec son histoire personnelle. Nous avons pu notamment relever que son père était un homme d’idéal et de droiture, mais dépourvu d’affectivité dans sa noble mais rigide éducation.
La dépression la plus remarquable due à un trauma que nous ayons rencontrée dans la littérature est celle de Styron qu’il nous narre merveilleusement dans son roman autobiographique : Face aux ténèbres. Il nous raconte qu’alors qu’il traverse une dépression d’allure mélancoliforme qui, selon lui, le conduisait au suicide, il va commencer à sortir de celle-ci au moment où son trauma va être réactivé. En fait, il avait vécu un deuil traumatique à son insu dû à la mort de sa mère quand il avait 13 ans. Notons qu’il a été dépressif à l’âge de 60 ans.

De la Résilience à la névrose traumatique
Lorsqu’un sujet n’a pas de symptômes après un événement potentiellement traumatogène, il est dit résilient ; mais cela ne peut en fait se vérifier qu’après un nouveau traumatisme comme nous l’avons vu avec Monsieur M. qui, lui, n’était pas résilient mais atteint d’un traumatisme froid.
C’est La Fontaine qui nous fait connaître la résilience en la distinguant de la résistance. En effet, tandis qu’on peut dire que le roseau est résilient, le chêne, lui, n’est que résistant. Pour approfondir La Fontaine, nous passerons par Freud qui, dans Analyse sans fin et analyse avec fin, définit dans un premier temps, le sujet qui est à l’opposé de la résilience et dans un second temps, celui qui est résilient. Il oppose en effet « les sujets dont la libido particulièrement visqueuse et adhésive se fixe sur ses objets et reste fidèle à ses investissements avec la difficulté qui en découle de la transférer vers d’autres objets, et les sujets chez qui la libido est particulièrement mobilisable, versatile même pour aller d’objet en objet en se reportant facilement vers de nouveaux investissements ». Le résilient est défini comme celui qui sait rebondir après chaque difficulté, autrement dit, chez lui, le manque est toujours condition de complémentarité. Le non résilient au contraire est le sujet rigide, voire masochiste, qui reste fixé là où il est et n’arrive pas à se dépasser ou à dépasser une situation difficile, montrant ainsi qu’il est dans la dépendance.
Si l’on en croit l’enquête, la population toulousaine, vu ce qu’elle a vécu, serait plus résiliente qu’une autre. Il n’y a bien sûr aucune raison de penser cela, mais on peut tout de même s’autoriser à croire que les très nombreuses prises en charge ont facilité une bonne liquidation des effets du trauma. Nous accordons pour notre part une véracité à de tels propos. Nous pouvons objectivement nous autoriser à penser que Madame L. dont nous avons parlé en début de communication pour présenter la journée du 21 septembre, aurait peut-être été traumatisée si elle n’avait pas pu bénéficier d’un débriefing individuel.

Retour sur la névrose traumatique
Nous voudrions, pour terminer, reparler de la névrose traumatique. Il nous paraît souhaitable de rappeler qu’il y a de la part des victimes deux attitudes opposées face à l’envahissement traumatique. En effet, tandis que les uns n’arrêtent pas d’en parler, d’autres n’arrêtent pas de le taire. C’est comme cela qu’on peut comprendre la judicieuse formule d’Elie Wiesel à propos du trauma : « Parler est interdit, se taire est impossible. » Parler est interdit soit parce que la victime garde le secret de son trauma, soit parce qu’il n’a pas les mots pour le dire. Rappelons-nous que c’est la médiatisation de la pédophilie qui a permis à certains enfants d’avouer le secret de leur traumatisme. Rappelons-nous encore que l’ancien G.I. Sydney Stewart, ancien combattant du Pacifique durant la Deuxième guerre mondiale devenu psychanalyste par la suite, raconte lui-même qu’il n’a pu sortir du silence de son trauma qu’en entendant les collègues exprimer les mêmes symptômes qu’il contenait.

Conclusion
Après analyse, on peut comprendre que les résultats obtenus au cours de l’enquête sont tout à fait logiques non seulement parce que les victimes ont été bien prises en charge, mais surtout parce qu’un sujet traumatisé a un penchant naturel à nier ou à taire son trauma ou à ne pas pouvoir le reconnaître puisqu’il va parfois apparaître de façon travestie, donc indétectable.
Il nous appartient donc, à nous soignants, de ne pas tomber dans le piège tendu involontairement par les traumatisés en nous rappelant que, en plagiant Freud, tout homme possède en lui l’inévitable pouvoir de reporter sur ce qu’il rencontre les traces de ce qui l’a traumatisé. 
N’hésitons pas, face à un comportement inexpliqué, à aller rechercher un trauma et à le traiter tel qu’il doit l’être. Merci aux enquêteurs de nous permettre de nous rappeler tout cela. 


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