A la Rencontre des idées et des pratiques en psychologie et psychanalyse

Suite de la conférence

Narcisse et Oedipe (suite)
I - Narcissisme et croissance psychique : 

Il nous faut donc revenir aux définitions, car le terme de “narcissisme” peut prêter à bien des confusions. Tantôt il désigne une organisation normale et saine de la personnalité comme celle que Freud avait en vue lorsqu’il l’a “introduit” en 1914 et tantôt il désigne au contraire, lorsqu’on parle de “patients narcissiques”, des structures très pathologiques de la personnalité. Ma patiente se posait la question : “Comment cet état d’amour et de tendresse a-t-il pu me rendre si malade ? Etait-il si fort, si profondément ancré en moi ?” se demandait-elle, stupéfaite par l’intensité de ses propres réactions et sans parvenir ni à les comprendre ni à les contenir.

Le terme de narcissisme venait de la psychopathologie où il avait été utilisé pour désigner une forme de perversion sexuelle dans laquelle le sujet “traite son propre corps de façon semblable à celle dont on traite d’ordinaire le corps d’un objet sexuel”. Dans « L’Introduction du narcissisme », Freud établit une sorte de balance entre la libido du moi et la libido d’objet, comme si elles étaient dans un rapport de vases communicants :”plus l’une absorbe, plus l’autre s’appauvrit”.

En fait, c’est seulement deux ans plus tard, en 1916, dans “Deuil et Mélancolie”, que Freud parvient à donner une véritable définition clinique du narcissisme, en découvrant la nature du lien qui unissait le mélancolique avec son objet perdu : dans la mélancolie, “la perte de l’objet s’est transformée en une perte du moi..... suivant une juste remarque de Otto Rank” écrit Freud, “ cela semble exiger que le choix objectal ait eu un fondement narcissique ”. C’était là une suggestion remarquable car elle permettait d’approcher la cause du caractère si intolérable de la douleur de la perte, réelle ou imaginaire, de l’objet, dans la dépression du mélancolique : celui-ci ressent son objet perdu comme étant en même temps une partie de lui-même.

Cependant, il faudra encore très longtemps avant que soit précisée la nature de la relation d’objet narcissique : elle n’a été définie que 30 ans plus tard, par Mélanie Klein en 1946, comme une relation d’identification projective dont l’un des caractères est de provoquer un certain degré de confusion d’identité entre le sujet et l’objet, dans la mesure où le sujet projette concrètement des parties de son propre self à l’intérieur de l’objet investi. Ce mode de relation, ou d’investissement, a alors été décrit par Klein comme une relation intrusive, utilisée pour prendre possession de l’objet en projetant en lui des parties du self et exercer ainsi sur cet objet un contrôle omnipotent. L’identification projective constitue dès lors, avec le clivage, le noyau de ce que Mélanie Klein a appelé la “position schizo-paranoïde”. Dans la première théorie psychanalytique de la pensée ( “Learning from experience”, 1962), W.R. Bion décrivit les aspects “normaux” de l’identification projective comme constituant le mode le plus primitif de communication intersubjective qui est la base de la relation affective mère-enfant et qui permet l’empathie et le développement de la pensée. Bion réintroduisait ainsi dans la théorie analytique le rôle de l’environnement qui en avait été apparemment définitivement exilé depuis l’abandon par Freud de sa première théorie de la séduction. 

Il est clair que les découvertes psychanalytiques ont commencé par l’exploration des états mentaux pathologiques, d’abord des névroses mais très rapidement aussi des psychoses, comme la mélancolie et la paranoïa. La psychopathologie a donc été le modèle à partir duquel ont été esquissés des essais de reconstruction du développement psychique normal. Ce n’est que très récemment, dans les 20 ou 30 dernières années, que l’étude directe du nourrisson, autrefois inaugurée par Freud avec l’observation de l’enfant à la bobine, s’est énormément développée. Ces travaux ont apporté des éléments qui remettent en question certains dogmes analytiques sur la pulsion et la relation d’objet et qui permettent aujourd’hui de se rendre compte que l’on a pu prendre des tableaux psychopathologiques pour des modèles de développement normal et universel.

Je définis maintenant la relation narcissique comme une relation avec un objet investi par le sujet comme devant remplir pour lui certaines fonctions vécues comme indispensables à sa sécurité et à son développement. Je pense que c’est une relation dont le caractère principal est d’être la matrice du changement et de la croissance psychique. Lorsque cette matrice remplit sa fonction, elle est le contenant, dans le sens de Bion, de la croissance à venir. Le lien avec l’objet est essentiellement ce lien d’identification projective normale que Bion a décrit comme permettant le développement de la symbolisation et de la pensée.

Par contre, lorsque la relation d’objet narcissique présente des aspects trop pathologiques, comme dans le cas clinique que j’ai évoqué, elle échoue à remplir sa fonction naturelle et elle devient alors, selon l’expression introduite par MELTZER, un “claustrum” qui emprisonne les capacités potentielles de croissance psychique et étouffe littéralement dans l’œuf leur développement. Le lien avec l’objet est alors un lien d’identification projective pathologique, tel que Mélanie Klein l’a décrit dans la position schizo-paranoïde. 

Une telle définition a l’avantage de répondre aussi bien aux formes normales qu’aux formes pathologiques du narcissisme et explique pourquoi le même terme est utilisé pour décrire tant les unes que les autres : c’est parce que le narcissisme de l’être, dans le sens de l’investissement fondamental de soi nécessaire à la connaissance de soi, est toujours impliqué, pour le meilleur ou pour le pire, dans tout processus de changement et de développement. Une relation narcissique, même pathologique, reste une relation impliquant la persistance potentielle du besoin fondamental de croissance psychique de l’être. 

II - Narcissisme, beauté et traumatismes :

1 - La souffrance psychique de base et l’établissement du sentiment d’identité existentielle :

J’en suis venu à penser que la souffrance psychique de base de l’être est celle de ne pas pouvoir se développer et, en tout premier lieu, de ne pas pouvoir développer son sentiment d’existence. Assez curieusement, le concept d’identité ne fait pas partie des concepts psychanalytiques, alors que pourtant les processus d’identification ont toujours été au centre des recherches de FREUD et de ses continuateurs. Une exception, toutefois, Erik H. ERIKSON qui a consacré des études très riches au sentiment d’identité qu’il définit comme un “sentiment d’unité et de continuité”. Le sentiment d’identité n’est-il pas, en effet, le but et le résultat des processus d’identification ? Une autre exception, celle de Robert STOLLER, qui a étudié les troubles de l’identité sexuelle à partir des perversions et qui a décrit une “identité sexuelle fondamentale” qui apparaît la première et qui est “le sentiment qu’a l’individu de son sexe, masculin s’il est homme et féminin s’il est femme”. Elle fait partie, dans la définition de STOLLER, du concept plus large et plus tardif d’identité sexuelle, qui comporte “le mélange de masculinité et de féminité présent en chacun”. Cet auteur a souligné que l’identité sexuelle fondamentale était loin de ne dépendre que de facteurs biologiques, mais résultait aussi de facteurs culturels multiples parmi lesquels l’attribution du sexe à la naissance et les attitudes des parents envers l’enfant jouent un rôle décisif. 

Selon mon expérience, il me semble que la toute première étape du sentiment d’identité est celle du sentiment d’être, que je nomme sentiment d’identité existentielle. Celui-ci s’établit habituellement très tôt, dès les deux premiers mois de la vie extra-utérine. Nous pouvons le savoir de deux manières. D’une part, d’après les observations directes du nourrisson, comme celles de Daniel STERN qui décrit dans “Le Monde Interpersonnel du Nourrisson” le changement radical qui intervient chez le bébé aux environs du deuxième mois de vie extra-utérine. Ce changement correspond, dans sa description, au fait observé que (je le cite) “tout au long des deux premiers mois, le nourrisson construit activement un sens d’un soi émergent”. ( p. 57). 

La deuxième indication que nous possédons est celle du tableau que présentent les enfants lorsque leur sentiment d’existence n’a pas pu s’établir, nous commençons à mieux le connaître aujourd’hui : c’est le tableau de l’autisme infantile. Nous savons maintenant que les enfants autistes sont, en permanence, en lutte contre des sentiments de menace d’annihilation, d’anéantissement de leur sentiment d’existence, de la présence et la continuité de ce sentiment découvert par D.WINNICOTT et qu’il a nommé : “going on being”. Cette menace s’exprime par des angoisses que cet auteur a appelé des “angoisses inimaginables” , dans le sens d’angoisses impensables, et dont le bébé a besoin de se sentir protégé par une “mère suffisamment bonne”. D.MELTZER les a décrites comme des angoisses de “démantèlement” en tant que forme de désintégration passive et effectuée sans violence (contrairement au clivage) de tous les liens unissant entre elles les perceptions sensorielles de la relation à l’objet primaire. Ces angoisses, ainsi que les angoisses de chute sans fin ou de liquéfaction, expriment l’absence d’une fonction contenante de la vie psychique, dans le sens de W.R.BION, qui soit suffisamment fiable pour contenir le sentiment d’être en vie et l’empêcher de s’effondrer ou de s’écouler de soi. Les bébés qui vivent une telle situation luttent contre le “trou noir” de la dépression primaire décrite par F.TUSTIN.

Le cas de la patiente dont j’ai commencé à parler illustre très bien cette problématique cruciale. La seule accalmie relative de sa douleur psychique que trouvait ma patiente était dans le sommeil, en dépit du fait qu’elle avait terriblement froid et que son sommeil était toujours peuplé de rêves qu’elle trouvait “bizarres”. Pendant la tranche d’analyse précédente, elle avait eu de temps en temps des rêves qui l’étonnaient beaucoup, surtout lorsque j’avais la chance d’en comprendre le sens inconscient que je pouvais lui interpréter et qui, à sa grande surprise, concernaient toujours le transfert. “C’est vous qui savez”, répondait-elle régulièrement à mes interprétations.

Maintenant, il s’agissait de véritables cauchemars, tous remplis de visions d’horreur, souvent plusieurs par nuit. Mais, en six semaines, la production et l’analyse de ces rêves, aidées de quelques médicaments anti-dépresseurs et tranquillisants, lui permit de commencer à émerger de son désespoir. Voici quelques exemples de ces rêves :
▪ Elle retirait de la boue de son propre ventre, à la pelle, et sans arrêt (les sentiments dépressifs sont imagés comme de la boue-caca qui lui remplit le ventre- tête et qu’elle s’efforce d’expulser)
▪ Son petit chien était mort, il n’avait plus de peau et n’était plus qu’une boule de sang, c’était horrible à voir (elle assimile son petit chien à sa partie infantile désespérée, qui a perdu son contenant-peau et qui se vide de son sang-vie)
▪ Elle était enfermée dans sa voiture, je cognais à sa vitre pour lui ordonner de sortir, mais elle ne le pouvait pas; ses filles aussi l’appelaient, mais elle ne pouvait toujours pas sortir de la voiture (elle se ressent emprisonnée dans le claustrum de sa voiture-dépression, qui est utilisée comme un contenant substitutif pour ne pas se vider totalement, car, en perdant son ami, elle a le sentiment d’ avoir perdu sa peau, en tant que contenant de sa vie psychique).

La théorie freudienne de l’angoisse de castration et du complexe d’Œdipe, quelle que soit l’extension qu’on peut lui donner, reste, à mon avis, tout à fait insuffisante pour rendre compte de telles angoisses. Celles-ci concernent clairement le sentiment d’existence même de la personne et leur nature nous oblige donc à prendre en considération et à étudier de très près les circonstances dans lesquelles apparaît et se développe ce sentiment d’identité existentielle. 

2 - Le traumatisme de la naissance :

Il est aujourd’hui certain que le bébé, en naissant, affronte plusieurs situations de danger de mort qui font partie du processus de la naissance et qui laissent toujours chez le sujet une empreinte, plus ou moins forte et plus ou moins modifiable par les expériences ultérieures. Les “revécus de naissance” constatés dans de nombreuses formes de thérapie ont donné un regain d’intérêt à la notion de “traumatisme de la naissance” dont Otto RANK avait eu l’intuition en 1923, il y a 80 ans. Son hypothèse était basée au départ sur l’idée de Freud, dès “L’Interprétation des rêves”, que la naissance était “la source et le modèle de toute angoisse”. Mais elle fut ensuite contredite par FREUD lui-même qui écrivit en 1926 “Inhibition, symptôme et angoisse” pour la combattre, en faveur de sa nouvelle théorie sexuelle de l’angoisse de castration. Les connaissances actuelles semblent plutôt donner raison à RANK.

En effet, naître c’est vraiment changer de monde et cela de plusieurs façons :
▪ C’est d’abord passer d’un mode de vie en milieu liquidien à un mode de vie en milieu aérien,
▪ avec la nécessité vitale de s’autonomiser immédiatement par la mise en route de la respiration, 
▪ en même temps qu’être brusquement soumis à la pesanteur, à laquelle le nouveau-né avait échappé pendant sa vie pré-natale, au point que l’une des nombreuses formes d’angoisse de naissance est celle de sensations de chute sans fin.

Un ami gynécologue obstétricien, le docteur Albert GOLDBERG, qui pratique l’accompagnement haptonomique de la grossesse et de l’accouchement, m’a précisé que, pendant la naissance, le bébé sécrète des hormones de stress, en particulier des taux énormes de noradrénaline, tels qu’un adulte ne les supporterait pas ! Le “naissant”, comme l’appellent certains, peut même mourir par épuisement des glandes surrénales. La césarienne elle-même ne met pas à l’abri du traumatisme de la naissance lorsque le bébé a de la peine à mettre en oeuvre sa respiration, cette fois au contraire parce qu’il n’a pas sécrété suffisamment d’hormones de stress en raison de l’absence de travail. A la sortie de l’utérus, le nouveau-né doit être couvert et protégé contre le froid. Je puis confirmer ce dernier fait par mon expérience personnelle. Enfant, j’ai eu assez longtemps un cauchemar répétitif dans lequel j’éprouvais une sensation de froid intense qui m’envahissait, comme si soudain je me sentais complètement nu, sans drap ni couverture pour me protéger et que j’étais en train de mourir de froid. Seul, le réveil me permettait d’échapper à cette sensation de mort imminente. Je n’ai compris que beaucoup plus tard, pendant l’une de mes analyses, que les angoisses d’abandon qu’il pouvait m’arriver d’éprouver étant enfant, étaient capables de réveiller le souvenir d’un vécu de peur de mourir de froid que j’avais ressenti à ma naissance. D’une façon plus générale, les rêves des patients en analyse confirment l’existence d’empreintes laissées au niveau neuro-physiologique par les circonstances plus ou moins traumatiques de leur naissance. 

Les observations des psychologues développementalistes, comme celles de Daniel STERN, soulignent que, dès la naissance, le bébé est capable de différencier entre soi et l’objet. Cet auteur réfute l’idée d’un stade symbiotique précoce dans lequel le bébé ne serait pas encore capable de faire cette différenciation sur le plan cognitif, de même que F.TUSTIN avait définitivement écarté l’hypothèse de Margaret MAHLER d’un premier stade autistique soi-disant normal du développement. La vie psychique est relationnelle et intersubjective, ou elle n’est pas (autisme). Des liens affectifs peuvent et même doivent exister pour que le “sens du soi” puisse émerger, et ces liens sont alors vécus à travers un investissement affectif très intense de qualité “quasi symbiotique”, sans que cela implique une non-différenciation sur le plan cognitif. Il ne faut pas confondre symbiose et réciprocité. La différenciation des deux plans, le plan cognitif et le plan affectif, n’empêche pas et au contraire permet de mieux reconnaître les liens et les interactions qui les unissent l’un à l’autre sans les confondre, liens qui sont particulièrement vitaux dans les phases les plus précoces du développement, et qui le resteront la vie durant.

La découverte de l’Objet et la découverte de Soi constituent en fait un seul et même processus qui s’engage dès la naissance, sans doute même dès la vie intra-utérine. Le vécu de la vie pré-natale ne peut être que reconstruit, il nous en reste sans doute beaucoup plus de souvenirs et surtout d’investissements affectifs très intenses que nous ne pouvons en juger consciemment sinon par des impressions très générales, telles que ce que Romain Rolland nommait un “sentiment océanique” et qui a sans doute à voir avec le sentiment religieux pour lequel Freud déclarait n’avoir absolument aucune affinité ! Comme le disait Bion, je pense que la pensée s’est développée essentiellement pour décrire l’aspect matériel des objets du monde extérieur, mais très peu pour décrire les objets de notre monde psychique interne. Nous sommes, pour cela, obligés d’avoir recours aux procédés indirects de la création artistique. Il nous est, me semble-t-il, d’autant plus impossible pour notre esprit limité d’imaginer le vécu prénatal que celui-ci est contemporain d’une force de croissance d’une puissance à proprement parler inimaginable, puisqu’elle récapitule sur une période de temps très courte la totalité de l’évolution des être vivants ! Comment se représenter, par exemple, la puissance du fœtus qui fabrique 100.000 cellules nerveuses à la minute ! Le fœtus n’est pas seulement en contact avec la création de la vie, il EST cette création elle-même ! Et nous savons maintenant sans aucun doute possible que ce qui est en jeu, à la naissance, n’est pas seulement la survie biologique du nouveau-né mais aussi son essence même d’être humain, qui n’advient pleinement que s’il se sent immédiatement reconnu comme tel. 

3 - Fondements du narcissisme : La passion de la rencontre primaire et l’expérience esthétique.

Le narcissisme garde un lien très étroit avec la beauté, comme cela apparaît dans le mythe de Narcisse. Toute structure narcissique est susceptible d’exercer un pouvoir de fascination, tout comme le concept de narcissisme lui-même ! Cela tient à ce que toute relation narcissique recèle de beauté potentielle ou de persistante et éventuellement mortelle nostalgie du beau (cf. la fascination exercée par le film “Le Grand Bleu” sur les adolescents). Freud a curieusement assimilé le charme des femmes narcissiques “qui n’aiment, à proprement parler, qu’elles-mêmes” et leur propre beauté, ainsi que celui de l’enfant qui reposerait sur le fait qu’il “se suffit à lui-même, son inaccessibilité”, avec “le charme de certains animaux qui semblent ne pas se soucier de nous, comme les chats et les grands animaux de proie” ! Il relie visiblement le narcissisme à un fantasme d’absence totale de dépendance, ce qui est évidemment aussi faux pour la femme que pour l’enfant ! En fait, il s’agit, dans les deux cas, de l’image que peut donner de soi un être qui vit en identification projective avec son objet narcissique : en effet, ce mode d’identification, qui est aussi celui de la passion amoureuse partagée, procure l’illusion (temporaire) d’une absence de séparation entre le sujet et son objet. C’est ce qui faisait dire à LACAN que “la femme n’ex-iste pas ”, dans le sens où elle ne serait jamais complètement accouchée par celle dont elle est née, ce qui n’est évidemment qu’une formule, donc forcément très exagérée. 

Le problème des rapports du narcissisme et de la beauté n’a trouvé que très récemment sa solution psychanalytique, alors que celle-ci était pourtant connue de tout temps par les mères et leur bébé. Tous ceux qui ont accueilli un nouveau-né le savent, car ils l’ont vu et cela ne s’oublie pas, le premier regard d’un nouveau-né: ce qu’il cherche avant tout, ce n’est pas tant le sein en tout premier, comme le matérialisme simplificateur des adultes nous l’avait fait croire, tout au moins aux médecins et apparentés. Non, le nouveau-né n’est pas dans un danger immédiat de mourir de faim, il a mieux à faire : ce qu’il cherche avant tout, ce bébé, c’est un regard humain et, bien sûr, tout spécialement celui de sa mère dont il connaît déjà des tas d’aspects, sa voix, son odeur, sa chaleur, et beaucoup d’autres éléments de sa vie physique et affective, mais il ne l’a jamais vue. Heureusement, ses yeux ne sont pas aveugles à la naissance, comme on avait pu le croire, ils peuvent voir s’ils sont guidés pour cela! Comme Bernard THIS l’a constaté par l’observation, c’est la voix de la mère avec ses inflexions affectives et que connaît déjà le bébé, qui guide son regard. D’ailleurs, ses yeux étaient, comme ses autres sens, déjà fonctionnels avant la naissance, mais dans le noir il n’y avait rien à voir, alors à quoi bon ? Maintenant, c’est tout différent, il y a tout à voir ! 

Mais que cherche le bébé dans les yeux de sa mère ? En réalité, nous le savons très bien : il y cherche sa propre image car, pour créer et investir une image de soi, on a besoin de voir l’image de soi que l’on découvre dans le regard de l’autre ! N’est-ce pas la toute première étape du stade du miroir ? Les yeux ne sont-ils pas le miroir de l’âme, celui que Narcisse cherchait vainement dans l’eau trompeuse, sans doute à défaut d’un regard vivant et aimant de la part de sa mère ? Le bébé cherche donc sa propre image dans les yeux de sa mère, mais pas n’importe quelle image. Nous savons aussi ce qu’il attend qu’elle lui dise, comme toutes les vraies mamans : “Comme tu es beau ! Tu es le plus beau bébé qui ait jamais existé ! Tu es le plus beau bébé du monde !” Et c’est vrai, car c’est la déclaration d’amour dont il a besoin pour se sentir accueilli et reconnu dans son existence extra-utérine, j’allais dire extra-terrestre, car on peut penser que c’est ainsi que le bébé se sent à la naissance, l’extra-terrestre du ventre de sa mère, qui était jusqu’alors la totalité de son monde.

Il faut ajouter que sa mère en a tout autant besoin que lui, après les épreuves qu’elle a elle aussi subies et les doutes qui l’ont forcément assaillie, surtout si c’est un premier enfant. Mais le bébé ne sera pas en reste et sa maman aussi sera, sans aucun doute possible, la plus belle maman du monde ! C’est, ce que, dans le jargon théorique, je nomme la rencontre primaire entre le bébé et son environnement lorsqu’elle survient dans le climat de mutualité et de réciprocité nécessaire au développement de l’amour primaire.

C’est la beauté de cette rencontre que D. MELTZER a découverte et qu’il a d’abord décrite sous le nom de “conflit esthétique” (un conflit entre le dedans de l’affect et le dehors de la réalité : “est-ce aussi beau à l’intérieur qu’à l’extérieur ?”), puis comme “l’appréhension de la beauté”, en anglais “the apprehension of beauty”. Le verbe anglais “to apprehend” a malheureusement, comme le français “appréhender”, le double sens de se saisir de, comprendre et de celui de craindre, redouter. Mais alors nous voilà dans l’ambivalence, ce qui est certainement très mauvais pour les bébés, ils ont tellement besoin de certitudes !

Heureusement, j’ai réalisé qu’il existe au doute un antidote, c’est la rencontre, en fait, justement, la beauté de la rencontre entre les capacités d’amour à l’état naissant du bébé et les capacités d’amour, heureusement déjà construites, de ses parents. Ces derniers vont d’ailleurs – et combien ! – puiser dans ce sentiment de beauté que je nomme non plus le conflit esthétique mais l’expérience esthétique primaire, de nouvelles forces d’amour qui vont, à leur tour, décupler celles de leur bébé, qui en a bien besoin pour créer, en même temps que la sécurité de base nécessaire à son sentiment d’identité existentielle, la joie de vivre qui sera le fondement de sa santé mentale. Je pense que cet amour mutuel a tous les caractères d’une passion, que Winnicott avait évoquée du côté de la mère sous le nom de “préoccupation maternelle primaire”. Sous un autre angle, il a aussi parlé d’un état de “folie normale de la mère”, ce qui correspond à un état passionnel, mais à une passion qui devra évoluer pour accompagner les progrès du bébé vers une autonomie de plus en plus grande.

III - L’Oedipe, l’amour sexuel et la violence :

1 - Complexe d’Œdipe ou évolution du sentiment d’identité sexuelle :

De tous les concepts nouveaux introduits depuis un siècle par la psychanalyse, celui de “complexe d’Œdipe” est sans aucun doute le plus célèbre. Il est devenu comme le porte-drapeau unanimement reconnu de la psychanalyse et des psychanalystes. Il est même passé dans le langage courant : chaque enfant est censé “faire son œdipe”. Je ne suis pas certain que cette banalisation, pour ne pas dire médiatisation, aurait été du goût de Freud. “Œdipe toi-même”, a répondu le jeune Michel, 8 ans, à son pédo-psychiatre, le Professeur Marcel RUFO, qui le sermonnait au nom du complexe d’Œdipe !

Parler d”œdipe” pour évoquer l’évolution du sentiment d’identité sexuelle chez le garçon (et encore plus chez la fille), me semble aujourd’hui très réducteur, à bien des égards. L’évolution longue et très compliquée du sentiment d’identité s’étend en réalité sur la vie entière et elle ne peut être réduite à une pure et simple opposition de pulsions d’amour et de haine. Freud lui-même n’a-t-il pas écrit, dans “Le moi et le ça” : “Il se peut que l’ambivalence constatée dans les rapports avec les parents s’explique, d’une façon générale, par la bisexualité, au lieu de provenir, ainsi que je l’avais supposé précédemment, de l’identification à la suite d’une attitude de rivalité”.

2 - Les sentiments d’identité propre et d’altérité :

Ils constituent, selon moi, la deuxième étape du développement du sentiment d’identité. On peut estimer qu’elle se situe au cours de la deuxième partie de la première année de vie. Elle correspondrait à ce qu’on appelait autrefois l’angoisse du 8ème mois, ou angoisse de l’étranger, que je considère aujourd’hui comme une forme plus ou moins “catastrophique” (dans le sens du “changement catastrophique” de Bion) de réalisation du sentiment d’identité propre. Ce serait donc, en réalité, une formation pathologique et non un stade normal de développement, comme on l’avait cru. Ce serait donc aussi le cas pour la “position dépressive” de M.Klein, qui me semble en fait correspondre surtout à une phase de découverte de soi et de l’objet dans une dimension nouvelle et capitale , celle de l’altérité. Sans entrer dans plus de détails qui sortiraient trop du sujet d’aujourd’hui, je dirai seulement que cette réalisation correspond à une période où l’enfant n’a plus besoin d’utiliser de façon aussi massive qu’au tout début de sa vie les modes narcissiques de relation et d’identification, car il a atteint, grâce à eux, une stabilité et une sécurité suffisantes de son sentiment d’identité propre. Mais tout sujet, même le plus adulte, est susceptible de revenir transitoirement à des modes à nouveau narcissiques de relation, dans les périodes de crise ou de changement, de façon à pouvoir élaborer l’angoisse qui accompagne toujours le changement. C’était le cas de la patiente dont je vous ai parlé. C’est d’ailleurs ce que nous faisons chaque soir en allant nous coucher pour dormir et, si possible, pour rêver.

3 - Le traumatisme de la différence des sexes :

Les “recherches sexuelles des enfants”, selon l’expression plus appropriée de Freud que celle, trop simplificatrice, de sexualité infantile, sont d’ordre essentiellement narcissique. Elles sont provoquées par la découverte des organes sexuels qui éveille la curiosité et le besoin de savoir, la pulsion épistémophilique. Celle-ci s’oriente vers l’inconnu du corps propre et le mystère de la relation des parents entre eux. Les recherches sexuelles des enfants sont organisées dans leur vie psychique inconsciente par ces formations complexes que nous nommons “les fantasmes masturbatoires”. Ces derniers sont l’expression des pulsions partielles caractéristiques des phases narcissiques du développement. Ils s’accompagnent le plus souvent d’une forte culpabilité inconsciente qui se révèle seulement dans l’analyse comme fondée sur des sentiments de transgression et de violence latente qui peuvent par la suite grever les possibilités de réalisation amoureuse. Lorsque s’ajoutent à ces moments toujours difficiles des facteurs traumatiques, ces derniers aggravent cette violence qui peut alors bloquer complètement le développement normal, ne laissant que des possibilités dites “perverses” de réalisation amoureuse.

Les observations de Roiphe et Galenson, deux psychanalystes américains de l’école de Margaret Mahler, ont démontré que “la naissance de l’identité sexuelle”, “Infantile origins of sexual identity”, c’est le titre de leur livre paru à New-York en 1981 et en français aux PUF en 1987, se produisait chez nos enfants (car il peut sans doute en être autrement dans d’autres cultures) dès le cours du deuxième semestre de la deuxième année de vie. Il s’agit bien du sentiment d’identité sexuelle, c’est à-dire de la prise de conscience que fait alors l’enfant de la différence des sexes et de son appartenance à l’un des deux seulement. Roiphe et Galenson ont bien montré le rôle décisif de l’environnement de l’enfant pour aider celui-ci à assumer son identité sexuelle et à surmonter les angoisses de changement et de perte narcissique qui l’accompagnent. En effet, à mon avis, la découverte de la différence des sexes est toujours plus ou moins traumatique en raison essentiellement de la crainte de perdre, du fait de l’orientation sexuelle, la relation d’identification narcissique avec le parent du même sexe, alors que l’enfant sait qu’il aura encore très longtemps besoin de conserver en partie cette relation, nécessaire pour lui assurer la sécurité dont il a besoin pour faire face à l’inconnu de son développement ultérieur. Selon mon expérience, l’homosexualité, latente ou manifeste, ou la peur de devenir homosexuel, sont basées sur cette crainte de la perte du soutien narcissique du père pour le garçon et de la mère pour la fille. De tels points de fixation s’installent d’autant plus facilement que le sujet a dû avoir recours à de trop profonds clivages entre ses identifications masculines et féminines. C’est sur cette problématique, fondamentale pour toute la vie affective ultérieure du sujet, que repose la dynamique principale de ce que l’on nomme trop schématiquement le “complexe d’Œdipe” et dont Freud avait eu l’intuition en évoquant la bisexualité psychique plutôt que la rivalité.

Il existe un deuxième volet de l’aspect traumatique de la découverte de l’altérité sexuelle : c’est celui de la révélation de l’impuissance infantile et de la profondeur de la détresse qui peut l’accompagner, si les conditions d’environnement et de soutien narcissique ne sont pas suffisamment bonnes. L’enfant doit, en effet, attendre très longtemps avant de devenir capable d’utiliser ses potentialités sexuelles, et encore davantage avant de devenir capable de les assumer réellement psychiquement.. C’est l’une des raisons pour lesquelles il y a, à mon avis, un certain abus de langage et un certain déni de l’identité véritable de l’enfant, à parler sans autre préalable de “sexualité infantile” avant la maturation des organes sexuels et celle de la vie psychique, représentée par le passage de l’identification projective à l’identification introjective qui, seule, signe la consolidation des sentiments d’identité propre de l’enfant. Mélanie KLEIN avait fortement souligné cet aspect chez la fille qui doit attendre plus longtemps que le garçon, jusqu’à la maternité, avant d’être rassurée sur ses capacités de réalisation complète de sa sexualité.

La scolarisation favorise alors l’entrée dans la période de latence, qui est, à mon avis, le résultat du travail de synthèse de ces identifications introjectives, “assimilatrices dans le moi” (Pierre LUQUET), et qui permettent à l’enfant d’entrer dans ce qu’on a nommé “l’âge de raison”. Ce développement très important du moi s’accompagne d’une amnésie plus ou moins complète sur les tout premiers développements et les fantasmes masturbatoires qui les ont accompagnés, à la manière dont on a dit que la culture c’est ce qui reste quand on a tout oublié. FREUD a nommé refoulement ce processus qui est, en réalité, la conséquence naturelle de la croissance du moi à travers les mécanismes d’identification. Il s’accompagne, il est vrai, d’un refoulement de la sexualité qui entraîne un certain déni de l’altérité sexuelle (les filles aiment rester avec les filles, les garçons avec les garçons), au profit du développement cognitif et intellectuel, protégé pour un temps des passions trop violentes de la vie affective. Ce sera donc seulement avec la puberté et lors de l’adolescence qu’un véritable début d’intégration de l’identité sexuelle commencera à se faire.

4 - L’intégration de l’identité sexuelle : 

En effet, l’adolescence est aussi l’époque d’une nouvelle rencontre, cette fois réellement sous l’égide de la sexualité. La rencontre amoureuse ranime l’espoir de mieux développer ses capacités d’amour de soi et de l’autre, grâce à de nouvelles intégrations. L’émerveillement du coup de foudre du premier amour, à l’adolescence, est susceptible de revêtir un caractère quasi mystique et religieux, celui de la révélation extraordinaire de la possibilité s’ouvrant soudain devant soi d’avoir accès au mystère même de la beauté du monde et de la beauté de la vie. “Beauty too rich for use, for earth too dear. Did my heart love till now ? For I never saw true beauty till this night”, déclare le Roméo de Shakespeare, après avoir rencontré Juliette pour la première fois : “Beauté trop riche pour qu’on en use, trop précieuse pour cette terre. Mon coeur a-t-il aimé jusqu’ici ? Car je n’ai jamais vu la vraie beauté jusqu’à cette nuit-ci”. Mon hypothèse, c’est que l’éblouissement de la première rencontre amoureuse (mais un nouvel amour reste toujours un premier amour) est bien sûr vécu comme une révélation, mais qu’il est malgré tout basé sur le sentiment primaire d’émerveillement vécu par l’enfant lors de la toute première rencontre entre son amour naissant et celui de ses parents envers lui et entre eux. Le caractère presque miraculeux de l’amour tient, à mon avis, à cet engramme de la découverte de la beauté du monde, vécue après la naissance, et qui semblait avoir été perdue à tout jamais, comme avait été perdue la symbiose de la vie pré-natale.

Par contre, si la joie de vivre et le sentiment d’identité propre n’ont pas été suffisamment bien établis dans la petite enfance, la rencontre amoureuse risque de ne pas réussir à vaincre les clivages qui ont été nécessaires à la survie psychique face au désespoir. Ce fut le cas, par exemple, de Franz Kafka, qui a dit de sa tuberculose pulmonaire, qui s’était déclarée par une hémoptysie, un mois après sa deuxième tentative, vite avortée, de fiançailles: “Je suis aujourd’hui avec la tuberculose dans le même rapport qu’un enfant avec les jupes de sa mère auxquelles il s’accroche”. Après avoir réalisé qu’il n’arriverait pas à vaincre les obstacles qui l’empêchaient d’atteindre la maturité sexuelle, il l’avoua un jour à Max Brod en ces termes : “Jamais je ne saurai ce qu’est l’âge d’homme : d’enfant je deviendrai sans transition vieillard à cheveux blancs”. 

5 - La passion sexuelle : l’amour au péril de la violence.

En effet, lorsque les conditions de la naissance de la vie psychique ne sont pas suffisamment bonnes, et que l’attraction irrésistible exercée par la découverte émerveillée de la BEAUTE de l’AMOUR et de la VIE PSYCHIQUE ne se produit pas, c’est son négatif qui apparaît : le sentiment d’HORREUR, que l’on peut analyser comme étant la plus extrême répulsion qui se puisse éprouver, face à la vision terrifiante d’une menace de mort psychique. Telle était, dans l’Antiquité, la figure de Méduse, à laquelle était attribué un pouvoir paralysant et mortel, car son visage était si horrible à voir qu’il pétrifiait de terreur ceux qui avaient la malchance de la rencontrer. Le désespoir de sentir une impossibilité de naître à soi-même s’accompagne d’un sentiment d’horreur et constitue, selon moi, la souffrance psychique de base.

Nous avons vu tout à l’heure l’intensité de la douleur psychique et les sentiments d’horreur face à la menace d’une agonie psychique qui se révélaient dans les rêves de la patiente. La seule défense réellement efficace contre la souffrance psychique est le développement lui-même. Mais un certain degré de souffrance est évidemment inévitable et le développement ne peut se faire que si certaines défenses sont mises en place contre l’excès de souffrance qui, sinon, entraverait plus ou moins complètement la croissance psychique.

Il faut donc distinguer les défenses qui peuvent s’appuyer sur un noyau suffisamment sain et qui sont compatibles avec le développement, de celles qui restent essentiellement dirigées contre un noyau de désespoir annihilant et qui sont des défenses de survie.

► Les défenses compatibles avec le développement : la recherche de l’intégration. 
Bien entendu, je ne puis ici toutes les nommer, même très brièvement. Je désire seulement réhabiliter dans ce cadre les défenses maniaques, car elles jouent un rôle central dans la lutte contre la dépression et la recherche d’une meilleure intégration de Soi. Des défenses maniaques modérées sont, en effet, bel et bien nécessaires à la constitution et à la protection d’un espace mental qui puisse être utilisé pour l’élaboration progressive des affects dépressifs qui sont contenus dans d’autres secteurs de la personnalité : en général, dans les identifications qui paraissent plus féminines, car elles sont en relation avec les aspects plus vulnérables de l’imago maternelle lorsque celle-ci n’est pas suffisamment bien combinée avec celle du père. Or, les défenses maniaques, avec leurs aspects projectifs, s’appuient sur les aspects masculins ou phalliques des identifications aux objets internes. Il faut remarquer que, de cette façon, la bisexualité psychique est très tôt impliquée, par le jeu des identifications primaires, dans la lutte contre la souffrance psychique. L’intégration du masculin et du féminin continue, d’ailleurs, à jouer un rôle central dans les processus d’intégration et de développement psychique, la vie durant. Une part centrale du plaisir amoureux est liée à ce sentiment d’intégration de soi qui s’accompagne d’une exaltation joyeuse, pouvant aller jusqu’à l’extase.

► Les défenses de survie : la violence du désespoir et du clivage.

“Tout enfant, j’ai senti dans mon cœur deux sentiments contradictoires, l’horreur de la vie et l’extase de la vie”.  BAUDELAIRE, Notes intitulées : “Mon cœur mis à nu”.

Pour ne pas être dévorés par les sentiments d’horreur, les sentiments d’extase et d’amour de la vie doivent être protégés, et ils le sont par la défense typique de survie : le clivage (en allemand “spaltung”, terme créé par Bleuler pour désigner le symptôme central de la schizophrénie, traduit aussi en français par “dissociation”, et en anglais par “splitting”). Seul le clivage permet de maintenir la coexistence de ces sentiments contradictoires, mais au prix d’une division du moi. FREUD avait découvert cette division dès 1927 dans le fétichisme et il l’a ensuite décrit en tant que “clivage du moi ” tout à la fin de sa vie, en 1938, dans le manuscrit inachevé intitulé “Le clivage du moi dans le processus de défense”. Là, il décrit ce clivage comme “une déchirure dans le moi, déchirure qui ne guérira jamais plus, mais grandira avec le temps”. Un tel clivage, indélébile, ne peut donc être qu’un clivage primaire, mis en place au tout début de la vie psychique et entravant définitivement l’intégration de la personnalité qui restera à tout jamais “clivée”, comme cela peut être le cas dans les états schizophréniques. Mélanie KLEIN décrira une autre modalité de clivage, le clivage de l’objet, clivage en “bon” ou “mauvais” objet , avec le sens d’objet aimé ou haï, selon la projection sur lui de l’”instinct de vie” ou de l’”instinct de mort”. Plus tard, KLEIN réunira les mécanismes de clivage avec le déni qui en est indissociable, ainsi qu’avec la toute-puissance et l’idéalisation pour en faire les mécanismes de base de la “position schizo-paranoïde” en tant que toute première étape de la vie psychique. Le clivage kleinien est donc aussi un clivage entre l’amour et la haine. ce qui constitue un clivage du moi, surtout si l’on postule, comme FREUD et, à sa suite, Mélanie KLEIN, l’idée d’un clivage soi-disant constitutionnel de l’instinct en deux formes opposées l’une à l’autre. Donald MELTZER a radicalement modifié cette perspective très psychopathogisante, en faisant du “conflit esthétique”, dont j’ai parlé plus haut, le conflit de base de la vie psychique, en lieu et place du conflit des instincts. 

Aujourd’hui, je pense que le clivage apparaît, en fait, comme le mécanisme de survie utilisé lorsque le manque de réciprocité dans les interactions précoces n’a pas permis que se développe suffisamment précocement et suffisamment profondément le concept d’altérité. 

En effet, lorsque le développement psychique ne se réalise pas suffisamment bien, les défenses mises en place contre l’excès de souffrance, en premier lieu le clivage, deviennent une entrave contre le développement ultérieur, car ces défenses protègent la survie mais, en empêchant l’intégration de la personnalité, elles entravent la vie. Le concept de défenses de survie en tant que défenses désespérées contre une menace d’annihilation totale permet de mieux comprendre les aspects paradoxaux et souvent énigmatiques de la violence et de la tyrannie, en psychologie individuelle mais sans doute aussi en psychologie sociale et politique.

La violence est le commun dénominateur des conséquences multiples du clivage précoce en tant que défense de survie. Je suis tout à fait opposé à la notion d’une violence originaire, instinctuelle et sans signification, comme la “violence fondamentale” de Jean BERGERET. J’ai très longtemps travaillé moi-même avec le concept de la soi-disant bipolarité des pulsions, que M.KLEIN avait totalement adopté de FREUD. Je l’ai maintenant complètement abandonné, rejoignant ainsi beaucoup d’autres auteurs, comme par exemple BALINT et WINNICOTT. En fait, je pense, étant donné que les conditions d’environnement ne sont jamais parfaites, qu’il existe toujours un noyau de désespoir, plus ou moins caché, mais permanent au fond de tout être humain. La lutte contre ce noyau de désespoir sera, elle aussi, permanente et alimentera toutes les formes de la violence.

Pour illustrer le changement radical de perspective que je propose, par rapport à l’hypothèse freudienne d’un instinct de mort opposé à l’instinct de vie, je vais citer le cas d’un enfant de 5 ans, évoqué par Mélanie KLEIN dans son article de 1948 sur “La théorie de l’angoisse et de la culpabilité” ; cet article a été publié dans l’ouvrage collectif “Développements de la psychanalyse” (PUF, 1966). Je pense qu’il s’agit de l’enfant déjà évoqué par Mélanie KLEIN sous le nom de Kurt dans son livre “La Psychanalyse des enfants”. Elle le cite ici pour indiquer sa conception de l’angoisse, comme exprimant “le danger qui menace l’organisme du fait de l’instinct de mort, selon l’hypothèse de Freud sur la lutte entre l’instinct de vie et l’instinct de mort”. Elle le décrit son petit patient en ces termes : 
“Un enfant de 5 ans avait coutume de prétendre qu’il possédait toutes sortes d’animaux sauvages, comme des éléphants, des léopards, des hyènes et des loups, pour l’aider contre ses ennemis. Ils représentaient des objets dangereux - des persécuteurs - qu’il avait apprivoisés et qu’il pouvait utiliser comme protection contre ses ennemis. Mais il apparut dans son analyse qu’ils substituaient son propre sadisme, chaque animal représentant une source spécifique de sadisme et les organes qu’elle empruntait. Les éléphants symbolisaient son sadisme musculaire, ses pulsions à frapper et à fouler aux pieds. Les léopards qui lacèrent représentaient ses dents et ses ongles et leurs fonctions, dans ses attaques. Les loups représentaient ses excréments, doués de propriétés destructrices. Il s’effrayait parfois beaucoup à l’idée que les animaux sauvages qu’il avait apprivoisés puissent se retourner contre lui et l’exterminer. Cette crainte exprimait son sentiment d’être menacé par sa propre destructivité (ainsi que par ses persécuteurs internes)”.

Comme on le voit, il s’agit d’une description très impressionnante du monde imaginaire dans lequel vit cet enfant. Alors que l’article est postérieur à “Notes sur quelques mécanismes schizoïdes” de 1946, où elle avait déjà décrit l’identification projective intrusive pathologique, ici Mélanie KLEIN s’exprime uniquement en termes de sadisme, conformément à la terminologie freudienne en vigueur des stades sadique-oral et sadique-anal du développement de la libido . Or, il s’agit, certes, d’un enfant en grand danger psychique, mais le dit “sadisme” me semble plutôt à comprendre comme un investissement négatif , par cet enfant, de ses propres fonctions et organes corporels, qui est strictement, à mon avis, le sinistre reflet du non-investissement dont il s’est senti l’objet de la part de son entourage affectif, sans doute de sa mère en tout premier, et qui l’a laissé affectivement à l’état sauvage. En effet, la clinique montre que les sujets qui n’ont pas trouvé un objet suffisamment bon, c’est-à-dire suffisamment réceptif et contenant pour créer l’interrelation harmonieuse dont dépend la croissance psychique, gardent en eux des aspects non développés que j’ai nommées des parties non nées du self. Or, ces aspects non développés de la personnalité apparaissent au sujet comme très dangereux, en raison des affects de désespoir total qui leur sont liés, et ils sont alors souvent représentés dans les rêves comme des animaux sauvages, lions, tigres, araignées, etc. comme dans les fantasmes de cet enfant. Je pense donc qu’il est tout à fait erroné de considérer ces éléments fantasmatiques comme des représentations pures et simples de pulsions destructrices dérivées d’une “pulsion de mort” constitutionnelle, comme on a généralement tendance à le faire. Tout se passe, plutôt, comme si le sujet, confronté à un objet qui n’a ni reçu ni contenu ses états émotionnels naissants, les a dès lors lui-même condamnés et rejetés comme mauvais par un mécanisme primaire d’identification au mauvais objet qui est une technique de survie pour contrecarrer une dépression suicidaire. La dangerosité des parties non nées du self est, d’ailleurs, liée au fait que leur naissance ou leur re-naissance s’accompagne toujours de très violentes douleurs dépressives.

Il me semble donc clair que cet enfant vivait une situation de solitude persécutrice terrible, ne pouvant compter absolument sur personne pour développer une meilleure image de soi. Il se sentait totalement seul face à des objets internes surmoïques et rejetants, pour “apprivoiser”, comme il le dit de façon pathétique, un corps morcelé et qui lui reste étranger et qu’il fantasme, de ce fait, comme une horde hétéroclite d’animaux sauvages. Il doit s’en faire des alliés, les seuls qu’il puisse, dans son extrême solitude intérieure, utiliser, pour lutter contre ce qu’il nomme ses “ennemis” et qui correspondent surtout, à mon avis, aux affects dépressifs qui menaceraient d’anéantir sa vie psychique s’il ne les combattait sans cesse pour assurer sa survie. L’image de soi qui résulte de cette lutte pathétique demeure fixée à un niveau primaire et négatif de symbolisation, aussi longtemps qu’elle ne peut pas être reprise dans une interaction thérapeutique pouvant contenir et élaborer le désespoir latent de cet enfant.

La violence me semble être toujours fondamentalement celle de l’énergie du désespoir. Il faut donc distinguer très nettement la violence tant de la force que de l’agressivité. L’analyse montre que la force est le second des deux principaux critères de valeur des objets internes, dans la réalité psychique, car le tout premier critère des objets “bons” (c’est-à-dire aimés) semble être leur beauté. La force reconnue de ces objets leur confère, en outre, une consistance et une stabilité qui sont très rassurantes et qui sont gages de fiabilité, donc de confiance. Par contre, si les “bons” objets se révèlent trop faibles, ils sont alors ressentis comme trop vulnérables et par conséquent non fiables, ce qui vient saper l’établissement de la sécurité de base.

D’autre part, l’analyse montre avec évidence que les enfants très jeunes ont de très fortes tendances dépressives et qu’ils ont énormément de peine à intégrer leur agressivité et par conséquent à développer leur force, car ils se sentent paralysés par la culpabilité et incapables de se défendre lorsqu’ils sont eux-mêmes attaqués, ils ne peuvent alors faire davantage que d’assurer leur survie par l’identification à l’agresseur et par la violence. Or, cela se produit en fait assez couramment, chaque fois que l’investissement de l’enfant par son entourage est de nature plus narcissique qu’objectale. Dans ce cas, les rôles parents-enfant deviennent inversés, dans le sens où c’est l’enfant qui est utilisé par l’un ou l’autre de ses parents, ou par les deux, comme un contenant et, pire, un lieu d’évacuation pour les “mauvais” contenus des parents, ceux qu’ils ressentent comme tellement indésirables en eux-mêmes qu’ils ne peuvent pas être intégrés à l’ensemble de la personnalité. Ils en sont maintenus séparés par des mécanismes de clivage, tels que ceux que j’ai évoqués plus haut. L’enfant subit alors, sans être capable de se défendre, la violence de l’identification projective intrusive de l’un ou l’autre de ses parents. Le self infantile reste plus ou moins écrasé par ces projections et ces évacuations et éprouve les plus grandes difficultés à établir ses propres limites. Il en résulte des confusions de toute sorte qui interfèrent gravement avec les possibilités pour l’enfant de développer son sentiment d’identité propre.

En fait, de telles situations sont à peu près inévitables, car, dans l’état actuel de notre civilisation, elles se produisent a-minima et temporairement même dans les situations familiales les meilleures. Mais, lorsqu’elles sont plus massives et plus répétées, elles sont la source principale des pathologies du développement . On peut le voir, par exemple, très clairement dans un document auto-biographique très remarquable que vient de publier Frédéric MITTERAND sous le titre “La mauvaise vie”, document aussi remarquable par son courage et sa sincérité que par son tact et sa pudeur. Cet homme d’une très bonne famille, pétri de culture et d’érudition, nous révèle qu’il a été un enfant battu pendant les dix premières années de sa vie. Il était très régulièrement battu par sa gouvernante, qui battait aussi ses deux frères, même devant lui qui était alors “tétanisé par l’horreur du spectacle et par la peur”. Ses frères, plus âgés, ont plus vite échappé à leur bourreau en allant vivre chez leur père. Elle s’acharna alors entièrement sur le plus jeune, qui était aussi le plus sensible, victime idéale de ses coups, quotidiens, de ses brimades et de sa cruauté morale. Cependant, se remémore l’auteur, “J’aimais la méchante, beaucoup moins que ma mère idéale, mais je l’aimais quand même. Elle occupait toute la place, elle faisait écran entre moi et le reste du monde, et elle m’avait brisé dès le début”. Au point qu’un soir où sa mère, prise de soupçons, les surprit “en pleine scène de brutalité ordinaire; j’avais”, raconte l’auteur, “le visage encore rouge des gifles que je venais de recevoir, celui de la méchante était démonté par la rage...Je fondis en larmes, prétendant qu’il ne s’était rien passé; juste une chiquenaude sans gravité... La méchante et moi, nous étions liés comme des drogués, nous n’avions rien à raconter à personne; notre stupéfiant, la violence, nous avait enfoncés trop tôt, trop loin, il était impossible d’en sortir. On connaît désormais par cœur ces récits où l’enfant se tait parce qu’il en est arrivé au point où il pense qu’il mérite ce que le bourreau lui inflige et où le bourreau y trouve une excellente raison pour continuer. Une vie stable en somme”. Et qui s’est, en effet, stabilisée en tant que “mauvaise vie”, car, ayant beaucoup de capacités d’amour pour les femmes, il n’a jamais éprouvé de désir sexuel envers aucune d’elles et a dû chercher des compensations amoureuses auprès des garçons, à la recherche d’”un incroyable sourire”, et des émotions esthétiques liées à son amour de la beauté, dont il semble très clair qu’il en a toujours attendu quelque chose de l’ordre d’une renaissance de l’espoir, qui puisse contrecarrer le désespoir de se sentir emprisonné dans le claustrum de sa “mauvaise vie”.

Je pense que l’utilisation des enfants par les adultes pour évacuer sur eux l’intolérable de leur propre vie est toujours la source des “abus” subis par les enfants de la part des adultes, abus qui sont beaucoup plus fréquents que les seuls abus sexuels à proprement parler et qui peuvent aller jusqu’au meurtre comme j’en donnerai plus loin, à propos de la paranoïa, une illustration exceptionnellement impressionnante. En fait, la violence a toujours un sens fondamentalement suicidaire, car elle a désespéré de l’avenir et, ce faisant, elle l’a par avance détruit. 

La patiente dont j’ai parlé m’a rapporté un rêve de fantasme suicidaire, qui avait clairement le sens de tenter de mettre fin à l’excès intolérable de la souffrance psychique: “Impossible. IMPOSSIBLE - de manger, juste boire du thé trop bouillant, presque douloureux. Serez-vous content de moi quand je vous dirai le rêve pénible qui me tient maintenant éveillée. J’ai emmené le chien se faire euthanasier. C’était la seule solution. Il souffrait trop et j’ai eu le cœur en vrille. Car la mort fut lente à venir et après des regards de tendresse, son regard exprimait une tristesse infinie - la trahison comprise - et, bien sûr, vous étiez le vétérinaire responsable de l’injection mortelle (Le chien représente les bons aspects du self infantile qui, lorsqu’il est envahi et submergé par la dépression et la déception, devient lui-même mauvais : c’est l’une des sources du négativisme qui créée un renversement des valeurs). Bon, le chien est bien vivant mais je suis écœurée par ce que nous avons accompli VOUS et MOI. »

Les sentiments d’abandon de cette dame se sont révélés si violents et si douloureux parce qu’ils réveillaient le souvenir refoulé et d’autant plus intense de profonds sentiments d’abandon de l’enfance. La mère de la patiente est une femme obsessionnelle, froide et très peu affectueuse, qui ne s’est jamais vraiment intéressée à sa fille à laquelle elle préférait très clairement une autre fille plus jeune. Ma patiente a toujours énormément souffert de l’attitude de sa mère envers elle, tout en réussissant à lui garder son amour bien qu’il fût régulièrement très cruellement déçu. Elle a ainsi intériorisé une mère interne qui correspond à ce que Joyce McDOUGALL a très bien décrit comme un “objet sourd “, on pourrait ajouter : aveugle et sourd, à l’amour de sa fille et à celui que celle-ci lui demandait. 

Le renversement des valeurs, dans la vie psychique, est la conséquence d’un renversement entre les aspects bons et mauvais des objets d’identification narcissique. Il s’exprime par le négativisme qui, en l’absence d’objets réellement bons, érige comme bons les mauvais objets et les mauvaises parties du self. Le renversement des valeurs et le négativisme se rencontrent tout spécialement à la base de la pathologie dans les perversions et les addictions. A l’analyse, ces structures apparaissent en fait comme des formations plus ou moins explicitement délirantes, dans le sens où le délire - tel celui du Président Schreber - peut être considéré comme une néo-formation auto-construite pour contrecarrer le vide terrifiant d’un sentiment de destruction catastrophique du monde psychique interne et de l’absence de toute bonne “nourriture affective”. 

Dans ce mode d’identification au mauvais objet, le sujet rejette donc son propre self, il a horreur de soi. La paranoïa est le résultat d’un tel avortement de l’investissement de soi. Le sujet paranoïaque ne se sent pas seulement persécuté par le monde extérieur, il se sent aussi et même surtout persécuté par son propre self, non né, et dont il a horreur : il se sent étranger à lui-même, forme la plus radicale d’aliénation. Dans ce cas, la haine de l’autre dérive de la haine de soi qui est première. 

Un collègue m’a rapporté l’horrible histoire d’un homme qui avait tenté de faire une thérapie à cause des difficultés causées dans son couple par son caractère jaloux et tyrannique mais qui, ne pouvant pas supporter le divorce demandé par sa femme, finit par la tuer à coups de revolver. Mais, avant de tenter ensuite de se suicider, il tua aussi leurs deux garçons d’une manière particulièrement horrible : à coups de marteau sur la tête! Comme s’il avait essayé ainsi d’écraser concrètement sa propre douleur psychique intolérable projetée sur leur tête !

Dans son livre récent sur “L’auteur du crime pervers”, Marie-Laure SUSINI évoque le cas Landru et “l’étonnante affirmation”, dit-elle, qu’il lança à son procès : “J’ai fait le sacrifice de ma personne et, s’il faut mourir, je saurai le faire !” Elle l’interprète comme un sacrifice exhibitionniste destiné à “divertir l’Autre... jusqu’à sacrifier sa personne en se vouant au divertissement qui est jouissance obscure d’une horreur vécue par procuration”. Je suis d’accord qu’il existe une sorte de recherche désespérée d’une reconnaissance impossible, mais je pense qu’elle se déploie dans le cadre d’une défense phallique maniaque quasi délirante qui projette l’horreur interne et qui échoue finalement à contrecarrer la pulsion suicidaire, le sacrifice de sa personne. On peut sans doute dire la même chose pour Sade, que Madame SUSINI analyse aussi, sans doute avec raison, comme un pervers criminel et chez lequel elle relève les éléments qui soulignent son emprisonnement dans le claustrum de ses rituels interminables, concrètement représenté par le décor de murs de prison du théâtre qu’il avait fait de son château de La Coste, bien avant son embastillement.


CONCLUSION

Je dirai donc, en conclusion, que le traumatisme par excellence réside dans le fait de subir le non-respect du principe d’altérité, que l’on peut énoncer ainsi : c’est le respect de l’autre en tant que distinct de soi et ayant droit à la reconnaissance de sa propre existence et dignité d’être humain à part entière. Le respect de l’altérité commande la “bien-traitance”, néologisme créé récemment pour désigner un concept nouveau qui a vu le jour il y a une dizaine d’années au sein des équipes qui œuvrent contre la maltraitance au Ministère des Affaires Sociales. Après avoir fait la chasse, malheureusement jamais terminée, aux innombrables formes de maltraitance liées à l’infinie diversité de la qualité des relations interhumaines, il semble que l’humanité commence seulement à explorer les critères de la bien-traitance nécessaire non seulement à la prévention de la maltraitance mais surtout aux progrès immenses à faire encore dans la découverte et le respect de l’Autre, ainsi que de la Beauté de la Vie. 
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