A la Rencontre des idées et des pratiques en psychologie et psychanalyse

Donald Winnicott (suite)

D. Winnicott entamera sa formation de psychanalyste avec James Strachey, freudien, la poursuivra avec Joan Riviere, kleinienne (elle a co-écrit avec M. Klein le livre L'amour et la haine). M. Klein elle-même participera à la formation de D. Winnicott en tant que superviseur. Ce dernier en garda un souvenir admiratif, M. Klein parvenant à mieux connaître ses patients que lui-même. D. Winnicott n'a pas été proprement kleinien. Au choix du parti et à l'affrontement, il a préféré une troisième voie, personnelle.

   Ils ont été un certain nombre, au Royaume-Uni, à ne pas prendre parti, constituant ainsi ce qui a été nommé le « middle group », ou groupe des « Indépendants », (comprenant aussi, par exemple, le couple Balint). S'il en est devenu la figure la plus prestigieuse, D. Winnicott n'en est jamais devenu l'idéologue, ni le leader. On peut remarquer que, grand parmi les grands, il en est le seul à ne pas avoir fait école (au contraire de Sigmund Freud, de Mélanie Klein ou de Jacques Lacan).
D. Winnicott va très rapidement suivre sa propre voie, en présentant ses avancées comme complémentaires de celles de S. Freud et de M. Klein et il « … ne tarda pas à apparaître aux analystes comme un collègue révolutionnaire et plutôt embarrassant, ce qu'avaient déjà pensé les pédiatres…»

    Il semble que l'on peut trouver chez le fondateur de la psychanalyse les points qu'il n'a fait qu'évoquer et que D. Winnicott a ensuite développé.

    À propos du jeu et de la créativité, S. Freud écrit en 1908 :
« Chaque enfant qui joue se conduit comme un écrivain, dans la mesure où il crée un monde à son idée, ou plutôt arrange ce monde d'une façon qui lui plaît… Il joue sérieusement. Ce qui s'oppose au jeu n'est pas le sérieux, mais la réalité. »

M. Mannoni voit là le point de départ du travail de D. Winnicott qui « … ouvre une troisième voie à partir du texte de Freud. » et qui le mènera jusqu'à l'espace potentiel. Quant à la prise en compte de l'environnement et alors que la psychanalyse pense avant tout en termes de conflit intra-psychique, J.-B. Pontalis suggère que D. Winnicott s'appuie sur une note de S. Freud (où ce dernier évoque de prendre en compte la mère) pour développer toute sa théorie de l'environnement.12 Freud s'y fait l'objection qu'une organisation totalement régie par le principe de plaisir et ignorant ainsi de la réalité extérieure ne pourrait subsister pour un laps de temps, si court soit-il. Mais il ajoute: « Le recours à une fiction de cet ordre se justifie néanmoins si l'on considère que le petit enfant — pour peu qu'on tienne compte aussi des soins de sa mère — réalise, presque, en fait, un système mental de ce type. » On pourrait dire que c'est sur ce passage entre tirets que D. 

    Winnicott s'appuie pour développer sa théorie de la relation, du couplage mère-nourrisson. « Cette chose qu'on appelle un nourrisson n'existe pas », a-t-il pu écrire, J.-B. Pontalis, « Naissance et reconnaissance du “soi” ». 

    Si on peut convenir avec J.-B. Pontalis que la théorie du développement de D. Winnicott peut trouver sa « légitimité freudienne », sa continuité d'avec l'œuvre de Freud dans la note à laquelle il fait référence, il est peu probable que D. Winnicott ait ressenti besoin d'une « caution freudienne » pour oser avancer ses propres élaborations.

    Cependant, D. Winnicott cite lui-même cette note qui pour lui indique que « Freud rendait ainsi pleinement hommage au rôle joué par les soins maternels, et on peut supposer que s'il n'a pas abordé ce sujet, c'est qu'il ne se sentait pas prêt à analyser ses implications. » Ce n'est pas pour trouver une légitimité quelconque puisque ce texte a été écrit en 1960, vers la fin de sa vie. Cela illustre simplement ce qu'il a toujours dit : son travail est en complémentarité de celui de Sigmund Freud.

   À propos de M. Klein qui l'a précédé dans le travail auprès de jeunes enfants mais qui n'a pas pris en compte la mère, D. Winnicott déclare que c'est parce qu'elle n'en était pas capable, « par tempérament ». Sa théorie, qu'il a élaborée progressivement et qui est devenue de plus en plus complexe, est directement issue de son travail clinique. Dans un entretien avec A. Clancier, J.-B. Pontalis remarque qu'en France, bien souvent, un analyste crée un concept qu'il tente ensuite d'utiliser dans sa pratique. Rien n'est plus étranger à cette démarche que celle de D. Winnicott pour qui « … les faits, c'était la réalité ; les théories, le balbutiement humain dans son effort pour saisir les faits.». En effet, D. Winnicott, comme l'ensemble des « Indépendants », s'inscrit dans la tradition philosophique de l'empirisme britannique, avec parmi ses caractéristiques le rejet de l'esprit de système.

   S'il a commencé comme pédiatre et même s'il a conservé cette activité jusque très tard, D. Winnicott est également devenu analyste d'adultes, il a suivi des personnes psychotiques et s'est également occupé de jeunes placés en foyer, qui avaient été évacués de Londres pendant la Seconde Guerre mondiale. De par son immense expérience de pédiatre, qui dura près de quarante années, il put retrouver des patients, à l'âge adulte, qu'il avait reçu en tant que nourrissons, permettant une confrontation de ses intuitions et élaborations avec la réalité d'une vie vécue.
Toute sa vie, il a communiqué ses idées, à ses confrères pédiatres, psychanalystes, mais aussi aux parents, aux éducateurs, aux infirmiers, aussi bien qu'à des hommes de loi. Un de ses derniers textes est un hommage à un éducateur avec lequel il travailla pendant la Seconde Guerre mondiale.

Les travaux et l'apport de Winnicott 

L'œuvre de D. Winnicott est principalement composée de courts textes, de compte-rendus de communications à des sociétés de psychanalystes, des transcriptions de chroniques qu'il donna à la B.B.C., des conférences faites devant des publics variés (éducateurs, infirmiers, etc.). Aucun de ses livres n'a été composé comme tel, il s'agit de recueils de textes, certains ayant éventuellement été réécrits (comme pour Jeu et réalité par exemple), avec quelques parties inédites. Le livre, en tant que tel, D. Winnicott s'y est essayé et l'a laissé inachevé (La nature humaine).

Chacune de ces ponctuations, abordant un point précis de sa pensée, est formulée en fonction du public spécifique auquel D. Winnicott la destine, ce qui peut permettre de considérer trois axes :
· Clinique : En tant que pédiatre et psychanalyste, il travaille à soigner les effets les plus pathogènes des faillites de l'environnement des personnes qu'il rencontre en consultation car sa préoccupation majeure, c'est la santé mentale de la personne. Celle-ci est « ...le résultat des soins ininterrompus qui permettent une continuité du développement affectif personnel. »18. Le développement affectif va être inlassablement théorisé, dans un va-et-vient d'avec le travail clinique. Le développement affectif, de la naissance, voire avant, jusqu'à la vieillesse car : 
« En fait, la plupart des processus qui prennent naissance au premier âge ne sont jamais complètement établis et la croissance qui se poursuit tout au long de l'enfance au cours de la vie adulte et même de la vieillesse, continue à les fortifier.19 » 
· 
Théorique : Il va préciser, affiner, les caractéristiques de ce qu'il appelle « l'environnement », de ce qui le rend convenablement bon ou non ainsi que les conséquences de telle ou telle de ses faillites, c'est-à-dire lorsqu'il n'a pas été convenablement bon, du point de vue de l'enfant. Il va également décrire l'ensemble des processus à l'œuvre dans le développement de l'enfant qui l'amènent progressivement vers l'état d'une personne indépendante ayant le sentiment d'être réelle et « ... que la vie vaut la peine d'être vécue. »20. Parmi ses importantes contributions à la théorie, on peut souligner le dégagement des phénomènes transitionnels, à l'origine de l'espace potentiel, lieu de la créativité et de l'expérience culturelle, c'est-à-dire en fin de compte, le lieu qui signe l'humanité de l'humain. 
· Prophylactique : Tout au long de sa carrière, Winnicott n'a cessé de diffuser des idées : à ses collègues, à toutes les personnes travaillant auprès d'enfants, afin de prévenir les faillites pathogènes de l'environnement dont il peut observer les conséquences dans son activité clinique. Il s'agit d'une action lucide et délibérée. D. Winnicott semble avoir toujours été soucieux d'élargir le plus possible le champ d'intervention de la psychothérapie. Il fait à plusieurs reprises allusion à des « cas » soignés par l'intermédiaire des parents parce qu'il n'était pas possible à l'enfant de suivre une thérapie (habitant trop loin, celle-ci étant trop chère...). Comme il le rappelle : « Il ne faut pas oublier qu'il n'y aura jamais assez de psychothérapeutes pour traiter tous ceux qui ont besoin d'être soignés. Ainsi, diffuser ses idées participe d'une volonté de réduire le nombre de personnes ayant besoin de psychothérapie, d'apporter sa contribution personnelle à la société. 

Éléments de théorie 

Soit un nouveau-né sans troubles physiques, ni neurologiques. Il possède une tendance innée à se développer jusqu'à devenir une personne totale, créatrice, qui croit en la vie. Pour que cette tendance puisse s'exprimer, il est nécessaire et suffisant que l'environnement dans lequel va évoluer, grandir et se développer le nouveau-né se montre convenablement bon, de son point de vue à lui.

Durant la période post-natale, l'unité, ce n'est pas le bébé, mais l'ensemble individu-environnement21. C'est la mère de l'enfant qui est la mieux à même de lui fournir un environnement convenablement bon. À ce stade, le terme « mère » est équivalent à « environnement » et englobe donc le père si celui-ci s'occupe du nouveau-né. Le père intervient de deux manières : en tant que mère, lorsqu'il s'occupe du nouveau-né et également en préservant la mère et l'enfant de ce qui pourrait venir s'immiscer entre les deux. Pour que la mère soit effectivement capable de fournir une telle chose, il est nécessaire qu'elle ait pu et puisse toujours bénéficier elle-même d'un environnement d'une certaine qualité,

« Pour remplir ce rôle, il faut que sa relation avec le père du bébé et aussi sa relation avec sa famille et les cercles de plus en plus étendus qui entourent sa famille et constituent la société donnent à la mère le sentiment de sécurité, le sentiment d'être aimée.» 
Au cours de la grossesse, elle acquiert la capacité (la préoccupation maternelle primaire) de se dévouer totalement à son futur nouveau-né, capacité qu'elle perdra ensuite progressivement, à la mesure du développement du bébé.

« Au début, le fœtus et le nourrisson dépendent entièrement de ce que leur offre la mère vivante, qu'il s'agisse de son utérus ou de ses soins maternels. » 
Sous réserves des conditions sus-décrites, la tendance à se développer suivra les caractéristiques suivantes. Ce sont différents processus contemporains les uns des autres, bien évidemment liés entre eux, mais ayant leur propre temporalité.

D'un état où le bébé n'a même pas conscience d'être dépendant (ce que D. Winnicott appelle la dépendance absolue ou bien la double dépendance), celui-ci va ensuite connaître une situation de dépendance, dont il a conscience pour aboutir, ou plutôt tendre vers l'indépendance.

Au départ, l'environnement doit manifester une adaptation parfaite telle que le nourrisson soit soutenu dans son développement, que son « sentiment continu d'exister » soit préservé. Des empiètements ou des faillites de la part de son environnement forceraient le nourrisson à réagir, et non plus à agir, ce qui briserait sa continuité d'existence. À la dépendance absolue, « ...tout se ramène à une question essentielle : l'envahissement ou le non-envahissement de la vie du nourrisson... » 24. L'environnement doit être comme l'air que le bébé respire : ce dernier ne s'aperçoit pas que l'air est là, mais qu'il vienne à manquer...

Pendant cette période de dépendance absolue, la mère montre une adaptation très sensible aux besoins du bébé qui fait alors l'expérience (illusoire) de l'omnipotence. Cependant, la mère ne doit certainement pas être parfaite. Elle (ou l'environnement maternel) doit juste être une mère suffisamment bonne (ce qui implique qu'elle soit tout autant suffisamment mauvaise afin de ne pas être trop bonne), une mère banalement dévouée, selon les expressions de Winnicott. C'est dire que cette expérience de l'omnipotence, si importante pour le tout petit, ne peut ni ne doit être permanente, et s'accompagne toujours de l'expérience inverse de détresse, l'agonie du nourrisson comme Winnicott la nomme si bien.

Progressivement, le bébé prend la mesure de sa dépendance et adapte sa capacité de faire savoir à son environnement lorsqu'il a besoin de lui. En effet, la capacité du nourrisson à faire savoir à son environnement ce dont il a besoin n'est pas une capacité acquise, bien qu'elle évolue en fonction de l'expérience que le nourrisson fait de cet environnement. Winnicott parle du geste spontané du nourrisson pour désigner le fait que le nourrisson, dès sa venue au monde, a d'emblée une activité psycho-motrice complexe qui lui permet de communiquer ses besoins à son environnement maternant. Ce fait est, depuis les années 1990, amplement confirmé par les travaux des cognitivistes qui parlent de la compétence innée du nourrisson.

Cette progressive acquisition de l'indépendance n'est pas monotone, au sens mathématique, les mêmes dépendances sont surmontées plusieurs fois, réapparaissent, c'est un progrès « chaotique ». 

L'adaptation de l'environnement, la mère, prend de plus en plus de liberté par rapport aux besoins du bébé, à la mesure que se développe ses capacités d'y suppléer.
Selon le même schéma « chaotique », c'est vers l'âge d'un an qu'il y a intégration de la personnalité qui reste partielle, précaire, en devenir. Cette intégration se fait à partir d'un état non-intégré. « Au début, le nourrisson est fait de perceptions sensorielles et d'un certain nombre de phases de motricité. » 

Cet état de non-intégration, le bébé peut le retrouver lorsqu'il est au repos, sans angoisse ni frayeur. Si l'environnement est convenable, et soutient le bébé, l'ensemble de ces sensations va peu à peu s'intégrer en une unité.

C'est le développement de l'intellect qui permet la progressive désadaptation de l'environnement, dans le sens que le bébé compense alors par sa compréhension ce qui serait sinon vécu comme une adaptation insuffisante. Par exemple, le bébé a faim, il ne mange pas encore mais il entend sa mère s'y apprêter, et il sait que c'est le début du repas ; plus jeune, il n'aurait pas été capable de comprendre et aurait vécu cette attente comme une faillite.

D'autres étapes sont franchies, et, progressivement, « ...l'enfant devient capable de vivre une existence personnelle satisfaisante alors qu'il s'engage dans les affaires de la société. »

Parmi tout ce qu'a observé et théorisé D. Winnicott, il est nécessaire maintenant de s'attarder sur deux de ses contributions les plus importantes (avec la prise en compte de l'environnement), qui ont trait aux :phénomènes transitionnels,vrai self et faux self.

Phénomènes transitionnels 

Le complexe d'activités appelé phénomène transitionnel, désigne l'expérience du bébé lorsque, dans son développement, il commence à intégrer des objets « autre-que-moi » à ses activités « main-bouche ». Il est à la base des activités de penser et de fantasmer.

Le phénomène transitionnel désigne :
« ...l'aire d'expérience qui est intermédiaire entre le pouce et l'ours, entre l'érotisme orale et la relation objectale vraie, entre l'activité créatrice primaire et la projection de ce qui a déjà été introjecté, entre l'ignorance primaire de la dette et la reconnaissance de celle-ci.» 

De l'ensemble des phénomènes transitionnels, l'enfant extrait parfois un fragment particulier avec lequel il aura un rapport électif, c'est l'objet transitionnel. Il faut souligner que c'est bien moins l'objet en lui-même qui importe que son usage. Il peut s'agir d'un bout de tissu, comme d'une petite mélodie, comme de la mère elle-même.

D. Winnicott présente les particularités de la relation de l'enfant avec cet objet :

1. L'enfant s'arroge des droits sur l'objet et nous sommes d'accord pour cette prise de possession. 

Néanmoins, dès le début, on note une certaine annulation de la toute-puissance. 
    2. L'objet est affectueusement câliné, il est aussi aimé avec passion et mutilé. 
    3. L'objet ne doit jamais changer à moins que ce ne soit l'enfant lui- même qui le modifie. 
    4. L'objet doit survivre à l'amour instinctuel et aussi à la haine, et si c'est le cas, à l'agressivité pure. 
    5. Pourtant, il faut que, pour l'enfant, l'objet paraisse communiquer de la chaleur, ou être capable de mouvement, ou avoir une certaine texture, ou pouvoir faire quelque chose qui témoignerait d'une vitalité ou d'une réalité qui lui serait propre. 
    6. De notre point de vue, l'objet vient de l'extérieur, mais il n'en est pas de même du point de vue de l'enfant. Pour lui, il ne vient pas non plus du dedans ;ce n'est pas une hallucination. 
    7. Cet objet est voué au désinvestissement progressif, de sorte qu'avec les années il n'est pas tant oublié que relégué dans les limbes. J'entends par là qu'au cours du développement normal, l'objet transitionnel n'entre pas « dedans » (go inside) et que le sentiment qui s'y rapporte n'est pas nécessairement refoulé. Il n'est pas oublié, et on ne porte pas son deuil. Il perd sa signification, et ce, parce que les phénomènes transitionnels sont devenus diffus, se sont répandus sur tout le territoire intermédiaire qui se situe entre « la réalité psychique intérieure » et le « monde extérieur dans la perception commun à deux personnes »; autrement dit, parce qu'ils recouvrent tout le domaine de la culture. »

Genèse des phénomènes transitionnels 

Au départ, la mère suffisamment bonne...
« ...commence par s'adapter presque totalement aux besoins de l'enfant ; à mesure que le temps passe, progressivement elle s'adapte de moins en moins étroitement, suivant la capacité croissante qu'acquiert l'enfant de s'accommoder de cette défaillance maternelle. » 

Lorsque l'enfant commence à avoir faim, la mère s'en aperçoit et lui propose le sein. Le bébé a alors l'illusion que c'est précisément ça qu'il lui fallait et qu'il l'a lui-même créé. Le sein est à la fois créé et trouvé, ce qui donne à l'enfant « ...l'illusion qu'il existe une réalité extérieure qui correspond à sa propre capacité de créer. » Progressivement, la mère s'adapte moins parfaitement, devient défaillante, à mesure que l'enfant devient capable de le supporter. L'inadaptation progressive de l'environnement et la frustration qui en résulte lui permettent de faire l'expérience de la réalité : « L'expérience de la frustration rend les objets réels, c'est-à-dire, aussi bien haïs qu'aimés. »
C'est dans ce contexte que vont pouvoir apparaître et se développer les phénomènes transitionnels.

Il s'agit de phénomènes qui n'appartiennent ni à la réalité intérieure ni à la réalité extérieure, c'est une des raisons pour lesquelles ils sont qualifiés de transitionnels. On pourrait dire en même temps qu'ils appartiennent en même temps à la réalité extérieure et à la réalité intérieure et que c'est justement pour cela qu'ils n'appartiennent ni à l'une ni à l'autre. N'appartenant ni à l'une ni à l'autre et aux deux à la fois, personne ne pose la question de leur réalité. « L'objet et les phénomènes transitionnels donnent dès le départ à chaque individu quelque chose qui restera toujours important pour lui, à savoir une aire d'expérience neutre qui ne sera pas contestée. » 

Le bébé dont la mère aura été « convenablement bonne », fera l'expérience, illusoire, de l'omnipotence, et par la suite des phénomènes transitionnels. Dans cette aire intermédiaire d'expérience se situera progressivement ce qui « ...est éprouvé intensément dans le domaine des arts, de la religion, de la vie et de son imaginaire, de la création scientifique. ». C'est également dans cette aire que peut être relâchée la tension suscitée par l'acceptation de la réalité extérieure, qui « ...est une tâche inachevée... », dans sa mise en rapport avec la réalité intérieure. L'enfant, en grandissant, saura que la vie vaut la peine d'être vécue et aura un mode de vie créatif qui est :
« ...la coloration de toute une attitude face à la réalité extérieure [...] il s'agit avant tout d'un mode créatif de perception qui donne à l'individu le sentiment que la vie vaut la peine d'être vécue ; ce qui s'oppose à un tel mode de perception, c'est une relation de complaisance soumise envers la réalité extérieure : le monde et tous ses éléments sont alors reconnus mais seulement comme étant ce à quoi il faut s'ajuster et s'adapter. La soumission entraîne chez l'individu un sentiment de futilité, associé à l'idée que rien n'a d'importance. Ce peut être même un réel supplice pour certains êtres que d'avoir fait l'expérience d'une vie créative juste assez pour s'apercevoir que, la plupart du temps, ils vivent de manière non créative, comme s'ils étaient pris dans la créativité de quelqu'un d'autre ou dans celle d'une machine. Cette seconde manière de vivre dans le monde doit être tenue pour une maladie, au sens psychiatrique du terme. » 

La créativité peut être détruite si la personne est contrainte de vivre dans des conditions particulièrement difficiles. Par exemple, chez les personnes ayant vécu dans les camps de concentrations ou sous des régimes totalitaires.
« ...quelques-unes de ces victimes parviennent à rester créatives et, bien entendu, ce sont elles qui souffrent. Tout se passe comme si tous les autres, ceux qui continuent d'exister (mais ne vivent pas) dans de telles communautés pathologiques, avaient si totalement renoncé à tout espoir qu'ils ne souffrent plus ; sans doute ont-ils perdu ce qui faisait d'eux des êtres humains : ils ne peuvent plus voir le monde de manière créative. » L'opposition entre les deux modes de vie découle de la relation entre le vrai self et le faux self, entre avoir le sentiment d'être vivant, de croire en la vie et la voir de manière créative d'une part, et d'entretenir une relation de soumission complaisante, sans créativité, avec son environnement d'autre part.
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