A la Rencontre des idées et des pratiques en psychologie et psychanalyse

Mélanie Klein (suite)

   Melanie Reizes est née le 30 mars 1882 à Vienne. Bien que son père, le docteur Moriz Reizes, fut juif et médecin, la famille Reizes ne semble pas avoir été en contact avec la famille Freud . Le docteur Reizes, issu d'une famille juive orthodoxe, avait été destiné dès son jeune âge, par son entourage à devenir rabbin. Sa grande intelligence soulevait beaucoup d'espoir dans la famille. Aussi, fut-il contraint par sa famille d'épouser une jeune fille qu'on lui avait choisie, sans même qu'il ne la connaisse. 

Toutefois, le jeune homme ne l'entendait pas ainsi. A trente-sept ans, il divorça, reprit son indépendance par rapport à sa famille, et entreprit des études en médecine. Au début de la quarantaine, il épousa Libusa Deutsch, alors âgée de vingt-cinq ans, et eut avec elle quatre enfants; ils nommèrent la plus jeune Melanie. 

Le docteur Reizes, bien que médecin, avait d'importantes difficultés financières dues principalement à la situation économique qui prévalait dans la capitale autrichienne. Il était particulièrement difficile pour un juif de réussir en tant que médecin à Vienne. Aussi, à l'encontre des normes en vigueur pour l'époque, madame Reizes ouvrit une boutique d'animaux et de plantes exotiques pour venir en aide à son mari et assurer l'éducation des enfants. Quand Melanie eut cinq ans, ses parents firent un petit héritage qui permit dès lors à la famille de vivre plus à l'aise. Le docteur Reizes acheta un cabinet de dentiste et eut du succès dans cette nouvelle voie. 

Le père de Melanie était un intellectuel d'une grande culture, ce qui lui valut une grande admiration de sa cadette. Mais il était déjà dans la cinquantaine lors de sa naissance et avait peu de patience et beaucoup de travail. De plus, il manifestait ouvertement sa préférence pour sa fille plus âgée, ce qui lui attira le ressentiment de la petite Melanie. Elle avait dix-huit ans lorsque son père mourut. Les dernières années lui avaient permis de se rapprocher de lui sur le plan intellectuel, malgré des débuts de sénilité chez son père. 

Libusa Deutsch-Reizes, pour sa part, était une femme très belle, chaleureuse et dynamique. Si elle était issue d'une famille de rabbins, comme son mari, sa situation était fort différente. Madame Reizes provenait d'un milieu libéral très cultivé où les grands courants de la littérature et de la philosophie avaient place. La relation entre la petite Melanie et sa mère semble avoir été fort complexe et ambivalente. Nous connaissons mieux depuis les travaux de Phillis Grosskurth les tensions existant entre ces deux femmes et les liens probables qui peuvent être établis entre cette relation et certains accès dépressifs que Melanie Klein présentera au cours de sa vie et qui la mèneront sur le divan de Ferenczi puis de Karl Abraham. 

Malgré ces difficultés, lorsqu'à la fin de sa vie madame Reizes se retrouva seule, c'est Melanie qui l'accueillit chez elle. Durant cette période marquée aussi par les déboires d'un mariage malheureux, Melanie Klein tira un grand réconfort de son contact avec sa mère. Cette dernière mourut en 1914 des suites d'une longue maladie et le courage qu'elle afficha devant la mort fut pour Melanie Klein un modèle dont elle parla souvent vers la fin de sa vie. 

Si à la fois son père et sa mère étaient nés d'une famille de rabbins, tous deux avaient acquis une indépendance de pensée en ce qui regarde les convictions religieuses. Malgré quelques hésitations au seuil de l'adolescence, Melanie Klein n'a jamais craint de s'afficher comme athée. 

La petite Melanie, durant son enfance, s'est fortement attachée à celle de ses deux sœurs qui la précédait directement: Sidonie. Celle-ci, âgée de huit ans, tomba gravement malade et dût rester alitée. Durant sa maladie qu'elle savait fatale, elle s'occupa de l'éducation de Melanie, alors âgée de quatre ans. Les deux sœurs tissèrent alors de forts liens affectifs qui furent brusquement rompus un an plus tard par la mort de Sidonie, en 1887. 

Par la suite, Melanie noua une solide relation avec son frère Emmanuel, l'aîné de la famille. Celui-ci était un jeune homme particulièrement doué et très cultivé. Un jour, alors qu'elle avait neuf ou dix ans, Melanie fit lire un de ses poèmes à son frère et, impressionné, celui-ci se lia d'une grande amitié avec sa petite sœur.

C'est grâce à son frère si Melanie Klein put réussir le concours d'entrée dans un établissement secondaire réputé, seule voie d'accès aux études en médecine qu'elle envisageait. Vers ses quinze ans, elle partageait les goûts littéraires et artistiques de son frère. Cela l'amena à fréquenter un milieu intellectuel où elle éprouvait un vif plaisir. Mais, en 1902, cette relation fut à son tour rompue par la mort d'Emmanuel, à la suite d'une très longue maladie. 

À dix-sept ans, Melanie Reizes rencontre, par l'entremise de son frère, un ingénieur chimiste nommé Arthur Klein. Le mariage eut lieu quatre années plus tard, en 1903. De ce fait, elle abandonna ses projets d'études médicales au profit de cours d'art et d'histoire qu'elle poursuivit à l'université de Vienne. Plusieurs années plus tard, elle regrettera amèrement son geste, pensant que ses travaux auraient eu meilleure audience si elle avait été médecin. 

De son mariage, Melanie Klein tira bien peu de bonheur. Obligée de suivre son mari dans des petites villes de Silésie et de Slovaquie, elle regrettait la compagnie des intellectuels qu'elle avait connus à Vienne. De plus, son mariage semble avoir dès le départ très difficile. Son seul réconfort lui vint de la naissance de ses deux premiers enfants: Melitta, en 1904 et Hans, en 1907. 

. Le cours de la vie de Melanie Klein allait changer rapidement maintenant. En 1910, son mari, par son travail, est amené à se fixer à Budapest, en Hongrie. Pour la première fois depuis son mariage, Melanie Klein allait pouvoir retrouver le milieu culturel qui lui avait manqué. Mais l'événement le plus important fut certainement que pour la première fois Melanie Klein est en contact avec la psychanalyse.

C'est en effet à Budapest que cette Viennoise d'origine se verra proposer pour la première fois un livre de Freud. Il semble bien que ce livre ait été "Le rêve et son interprétation" (1901a) qui connaissait un grand succès à l'époque. L'impact qu'eurent ces idées nouvelles sur la femme curieuse qu'était Melanie Klein semble avoir été très fort. Nous savons qu'elle était, à cette époque, dépressive et troublée. Un mariage précaire, l'isolement en province des premières années, les nombreuses personnes chères qu'elle avait portées en terre, tout cela n'était pas si éloigné lorsqu'en 1914, sa mère, qui vivait alors avec elle, décède des suites d'une longue maladie. Privée de sa mère et compagne, Melanie Klein traverse alors une période sombre au cours de laquelle naît, en 1914, son dernier enfant, Erich, qui, avec Melitta et Hans, complétera la petite famille. 

Si nous savons que Melanie Klein a entrepris une analyse avec Sandor Ferenczi durant la première guerre mondiale, il est plus difficile d'en situer le moment exact. Qu'il nous suffise de dire qu'il semble probable que son analyse ait débuté en 1917. 

C'est Sandor Ferenczi qui a encouragé Melanie Klein à se lancer dans l'aventure psychanalytique. Lui qui s'intéressait beaucoup à l'enfance invita Melanie Klein à effectuer l'éducation de son plus jeune fils (Érich) à la lumière des découvertes de la psychanalyse. Cependant Sandor Ferenczi n'a jamais supervisé les travaux de Melanie Klein. 

C'est en 1919 que Melanie Klein fait la lecture de son premier article devant la Société Hongroise de Psychanalyse. Elle est à cette occasion acceptée en tant que membre. Ce texte porte sur la tentative que Melanie Klein poursuivait d'éduquer son fils Érich selon les principes de la psychanalyse. L'article en question est repris dans la première partie du texte Le développement d'un enfant, publié en 1921. 

En 1920, au cours d'un congrès, elle fit la rencontre d'Hermine von Hug-Hellmuth, la principale spécialiste de l'analyse des enfants à l'époque. La rencontre fut, semble-t-il, très froide, la grande spécialiste se montrant réservée face à une Melanie Klein sans formation universitaire. Ce qui est plus important, c'est qu'à ce congrès, Sandor Ferenczi présente Melanie Klein à Karl Abraham qui, emballé par ses travaux, l'invite à s'installer à Berlin (où existait une polyclinique psychanalytique). Elle accepte.  En 1920, Melanie Klein s'établit chez ses beaux-parents, en Slovaquie. À la fin de la même année, Melanie et Arthur Klein se séparent définitivement. Le divorce sera prononcé un peu plus tard, soit en 1922. 

Au début de 1921, Melanie Klein arrive donc à Berlin. Karl Abraham, qui s'intéresse vivement à ses travaux, la prend immédiatement sous sa protection, lui prodiguant de précieux conseils. C'est seulement à ce moment que Melanie Klein commence ses travaux purement analytiques. 

Dès les premiers jours de février 1921, elle lit devant la Société Psychanalytique de Berlin la deuxième partie de son article "Le développement d'un enfant". Ce texte, qui constitue la suite de celui lu en 1919 à Budapest, porte sur l'analyse des jeunes enfants. Si, en 1919, elle affirmait que l'enfant dont il était question était son fils, Érich, en 1921, elle utilise un pseudonyme: Fritz. 

Cette étude débute quand l'enfant a cinq ans et qu'on lui communique les premiers éclaircissements en matière de sexualité. Rapidement, Melanie Klein s'aperçoit que les méthodes éducatives ont leurs limites et que loin de favoriser un développement harmonieux de l'intelligence de l'enfant, les explications données ont un effet négatif, marqué par des inhibitions et des symptômes phobiques. 

C'est à la suggestion d'Anton von Freund que Melanie Klein transformera cette entreprise éducative en analyse. Pour la première fois, elle allait interpréter le jeu de l'enfant. Melanie Klein apprendra beaucoup de cette première analyse: la nécessité de dépasser les méthodes pédagogiques dans le traitement des enfants; la profondeur des racines de l'angoisse et de la culpabilité; les relations entre le jeu et les fantasmes inconscients; la nécessité d'interpréter l'angoisse inconsciente; et la lenteur de la perlaboration des interprétations. 

En 1922, Melanie Klein travaille à la polyclinique de Berlin, où elle donne des conférences. En septembre, elle a la joie de lire, au Congrès International de Psychanalyse de Berlin, un article devant Freud. Ce texte intitulé"Le développement et l'inhibition des aptitudes chez l'enfant" sera repris dans "L'analyse des jeunes enfants" (1923b). 

Jusqu'à maintenant, Melanie Klein avait eu peu de jeunes patients. Des analyses qu'elle a effectuées avant 1923, nous connaissons celles de Fritz (Érich), de Félix, de Lisa, d'Ernst et de Grete. Si elle utilisait le jeu dans l'analyse, aucune technique précise n'avait été élaborée. De plus, les thérapies se déroulaient souvent chez l'enfant. 

De ces premières analyses, nous pouvons apercevoir le vaste domaine qui demeurera celui de Melanie Klein : le fantasme inconscient. Ces fantasmes sont reliés à la scène originaire et sont mis en relation avec les inhibitions dont elle tente de libérer l'enfant par la cure analytique. 

Dans un article de 1923(b), Melanie Klein écrit: 

Il est clair (mais le fait reste à être vérifié) que s'il était possible d'entreprendre une analyse de l'enfant au moment des frayeurs nocturnes, ou peu de temps après, et d'apaiser l'angoisse, c'est les racines mêmes de la névrose qui seraient extraites et les possibilités de sublimation libérées. Or, mes observations personnelles me portent à croire que l'investigation psychanalytique n'est pas impossible à cet âge. (p. 115)  Elle n'allait pas attendre longtemps pour vérifier son hypothèse. Durant l'été 1923, Melanie Klein entreprend l'analyse de Rita, alors âgée de deux ans et neuf mois. L'analyse devait durer trois ou quatre mois. Karl Abraham qui suivait de près les travaux de Klein, écrivit à Freud (Freud et Abraham, 1907-1926) que: 

Mme Klein vient de mener à bien ces derniers mois, avec adresse et succès thérapeutique, la psychanalyse d'un enfant de trois ans. Cet enfant offrait l'image fidèle de la mélancolie originelle dont j'ai fait l'hypothèse, et ce en étroite connexion avec l'érotisme oral. D'une manière générale, ce cas donne des aperçus étonnants sur la vie pulsionnelle infantile. (p. 344-345)

Cette annonce ne souleva aucun commentaire chez Freud et ce passage constitue le seul endroit où Karl Abraham et Freud échangent par écrit à propos des conceptions de Melanie Klein. Ce silence de Freud ne sera brisé que beaucoup plus tard. 

L'analyse de Rita allait jouer un rôle décisif dans l'élaboration de la pensée kleinienne. Il n'est pas étonnant que ce cas revienne régulièrement dans les textes de Melanie Klein (1926, 1929a, 1932, 1936, 1945). L'enfant souffrait d'une forte névrose obsessionnelle qui était marquée par la peur qu'un "butzen" ne vienne la nuit pour lui arracher son "butzen" d'un coup de dent. Les difficultés rencontrées au début de l'analyse, dues entre autre au fait que le traitement se poursuivait chez l'enfant, ont forcé Melanie Klein à s'interroger sur sa technique (Klein, 1955a). 

Les acquisitions théoriques suite à l'analyse de Rita sont nombreuses et importantes telles que: présence précoce d'un surmoi sévère; vaste variété de fantasmes sadiques anaux et urétraux; de même qu'un aperçu sur l'Oedipe féminin. Après coup, Melanie Klein y puisera les germes de sa théorisation personnelle, utilisant le matériel de ces premières analyses pour construire, à compter de 1934, son propre système. Sur le plan technique, l'analyse de Rita amène l'éclosion de nouvelles idées: un local spécifique pour l'analyse; des jouets spécifiques; et bien d'autres particularités qui marquent la définition d'un setting propre à l'analyse des enfants. 

En 1924, Melanie Klein entreprend les analyses de Trude (3 ans;3 mois), Peter (3 ; 9), Ruth (4 ; 3) et d'Erna (6 ans). Ces quatre cas la plongent dans le monde du sadisme oral et de l'Oedipe archaïque. Ces cas seront continuellement repensés tout au cours du développement de la théorie kleinienne, au point d'en former le véritable noyau. 

Malgré que Karl Abraham, suite à certains problèmes avec des analystes berlinois dont il avait été à la fois l'analyste et le directeur, se soit donné comme ligne de conduite de n'accepter aucun confrère en traitement, Melanie Klein débuta une analyse avec lui en février ou mars 1924. Il faut probablement voir dans cette exception faite à la règle une marque de l'estime que Karl Abraham et Melanie Klein se vouaient réciproquement. 

Durant l'année 1925, Melanie Klein publie un article intitulé "Contribution à l'étude de la psychogenèse des tics". Ce texte qui reprend l'essentiel des idées déjà élaborées en 1923, apporte un précieux complément aux célèbres articles de Sandor Ferenczi et de Karl Abraham. 

Au début de juin 1925, Karl Abraham interrompt ses activités pour cause de maladie. Melanie Klein, qui comme Karl Abraham s'attend à une guérison rapide, part durant l'été en Angleterre pour prononcer une série de conférences que Jones lui avait demandées l'année précédente. Elle reste en Angleterre durant six semaines, reçoit un accueil chaleureux et se gagne beaucoup de respect. Ernest Jones lui propose alors de venir s'installer à Londres pour au moins une année. 

Melanie Klein rentre à Berlin au milieu de l'été et retrouve Karl Abraham dont la convalescence se prolonge d'une façon inquiétante. Karl Abraham, pas plus que son entourage ne prévoyait l'issue tragique de cette maladie. 

Melanie Klein attendait toujours la guérison d'Abraham pour reprendre son analyse, lorsque le 25 décembre 1925 ce dernier est emporté par le cancer qui le rongeait. Si Freud, dans sa notice nécrologique écrite pour Abraham (Freud, 1926a), déplore la perte d'un des grands espoirs ("surest hope") de la psychanalyse et de celui qu'il voyait déjà comme le grand meneur des années à venir, il est à se demander ce que serait devenue l'oeuvre de Melanie Klein sous la protection de Karl Abraham. 

En effet, l'appuie de Karl Abraham était un sérieux gage de respect et de modération. De plus, les relations intimes qui existaient entre Karl Abraham et Freud auraient pu avoir une influence déterminante tant sur les préjugés de Freud ( nous y reviendrons) que sur l'attitude de Melanie Klein face à cette situation. 

Même mort, c'est Karl Abraham qui demeurera longtemps le maître à penser de Melanie Klein. De la théorie d'Abraham, Melanie Klein retiendra surtout la mise en évidence de l'importance du sadisme, la notion d'objet partiel, de même qu'une classification originale des stades du développement. Jusqu'au tournant de 1934, Melanie Klein suivra, pour l'essentiel, la pensée de Karl Abraham en ce qui concerne le développement de l'enfant. 

À quarante-quatre ans, héritant de nombreuses idées originales sur la genèse de l'enfant, Melanie Klein se retrouve isolée à Berlin, sans son protecteur. Elle décide alors d'accepter l'offre que lui avait faite Ernest Jones, ce dernier désirant qu'elle s'établisse à Londres. 

L'arrivée à Londres marque un second départ dans la vie de Melanie Klein. En 1926, la technique du jeu est maintenant élaborée sur des bases solides et Melanie Klein a acquis une expérience clinique suffisante pour qu'un certain respect lui soit reconnu et qu'elle devienne graduellement l'inspiratrice de l'école britannique de psychanalyse. 

La société britannique de psychanalyse comptait à l'époque plusieurs femmes parmi ses membres et il y avait beaucoup d'intérêt pour l'analyse des enfants. Nina Searl, par exemple, avait déjà commencé l'analyse des enfants selon sa propre méthode et était plutôt réticente face aux idées originales de Melanie Klein. Toutefois, la discussion fut constructive et les deux femmes se mirent rapidement à collaborer. 

À Londres, Melanie Klein se trouve à l'aise pour travailler; aussi, décide-t-elle de s'y installer. Elle fait venir son fils cadet, Érich, alors âgé de treize ans. Hans, l'aîné, décide de rester à Berlin et, à la suite de son père, poursuit une carrière d'ingénieur. Melitta, qui avait complété des études en médecine devenait très tôt analyste et devait épouser le docteur Walter Schmideberg, un analyste berlinois qui avait ses entrées chez Freud. 

Melanie Klein publie, en 1926, un article qui introduit ses nouvelles idées:"Les principes psychologiques de l'analyse des jeunes enfants". Ce texte, qui était prêt pour l'essentiel depuis 1924, sera repris en grande partie dans le premier chapitre de "La psychanalyse des enfants" de 1932. On y retrouve les idées principales de Melanie Klein qui resteront à la base de son système au moins jusqu'en 1934. 

Deux idées maîtresses et complémentaires se font jour: 1) l'enfant entre dans l'Oedipe au moment du sevrage, entraînant la constitution d'un surmoi, beaucoup plus tôt que ce que Freud avait anticipé; 2) le traitement de l'enfant peut et doit se faire selon les mêmes principes que les analyses d'adultes. 

Anna Freud, suite à la publication de cet article, ouvre la marche à la critique anti-kleinienne lors d'une série de conférences prononcées à l'Institut de Psychanalyse de Vienne. Se situant franchement dans la lignée des travaux d'Hermine von Hug-Hellmuth et d'August Aichhorn, Anna Freud propose un traitement éducatif et curatif de l'enfant, sorte de thérapie ré-éducative basée sur les connaissances acquises par l'analyse des adultes. 

Elle critique alors surtout la technique de Melanie Klein qui propose le respect de la situation analytique avec l'enfant et donc l'analyse du transfert. Dès lors, la dispute entre les deux écoles de pensée allait devenir ouverte et entraîner les analystes dans de nombreuses scissions. 

Dès l'année suivante, Melanie Klein allait répondre aux critiques d'Anna Freud. Dans cet article lu lors d'un colloque organisé par la société britannique de psychanalyse, Melanie Klein (1927a) réplique point par point à la critique en durcissant ses positions et en réitérant sa croyance en la possibilité d'analyser les enfants grâce à sa technique du jeu. 

Lors du symposium, Melanie Klein reçoit un appui solide de la part de Joan Riviere, de M.N. Searl et d'Ella Sharpe. Mais, plus importantes encore sont les contributions des deux plus prestigieuses figures de la psychanalyse en Angleterre: Edward Glover et Ernest Jones. Ces deux derniers analystes, dont le jugement était très respecté, n'avaient pas d'expérience de l'analyse des enfants, mais leurs articles, quoique modérés, sont clairement un appui à la technique du jeu de Melanie Klein et une critique prudente des idées d'Anna Freud. 

Vers la fin de septembre 1927, Jones reçoit une lettre de Freud protestant contre une prétendue campagne menée en Angleterre contre sa fille Anna et peut-être, soupçonne-t-il, contre lui-même. Cette lettre faisait suite à la position adoptée par Jones lors du Symposium sur l'analyse des enfants. La correspondance de Freud et Jones étant publiée depuis peu (1993), nous sommes en mesure de mieux mesurer à quel point l'appui de Jones envers Melanie Klein était solide et les explications données à Freud sont un exemple de respect et de fermeté. 

La même année, Melanie Klein publie aussi "Les tendances criminelles chez les enfants normaux" (1927b) où elle entreprend l'étude des fantasmes sadiques que l'on retrouve chez tous les enfants, et non plus dans les cas de pathologie, qu'elle met en parallèle avec les passages à l'acte criminel. 

Si les textes des années 1923 à 1927 sont souvent orientés vers les principes et la technique de l'analyse des enfants, c'est d'abord parce que la technique est de toute évidence une des premières choses à mettre au point lorsqu'on aborde un domaine encore inexploré. C'est aussi en raison de la polémique qui opposait Melanie Klein aux analystes fidèles aux restrictions énoncées par Freud et reprises par Anna Freud à propos de la nécessité d'utiliser des mesures éducatives dans l'analyse des enfants. 

Les deux groupes ayant exprimé leurs idées clairement en 1927, Melanie Klein pouvait alors aborder d'autres questions à propos desquelles elle accumulait du matériel depuis quelques années. . 

La période de 1928 à 1934 sera particulièrement riche dans l'oeuvre de Melanie Klein. Grâce à l'appui qu'elle reçoit en Angleterre et à la renommée qu'elle acquiert, Melanie Klein pourra se consacrer très activement à l'élaboration de sa théorie. Durant ces six années, elle va publier pas moins de neuf articles en plus de son livre "La psychanalyse des enfants" paru en 1932, vaste synthèse de ses idées à l'époque. 

Au cours de cette période, Melanie Klein porte surtout son attention sur le sadisme de l'enfant et sur la haine. Cela est dû en grande partie au fait qu'elle analyse durant ces années des enfants psychotiques ou du moins présentant des troubles très graves. Les cas d'enfants analysés vers cette époque demeureront à la source de sa réflexion.  

En 1928, avec "Les stades précoces du conflit Oedipien" et dans la "Note on "A dream of a Foresinc interest" by Douglas Bryan", nous retrouvons l'idée maîtresse que c'est sous l'action des pulsions destructrices déclenchées lors du sevrage que l'enfant se détourne de la mère pour se porter vers le père. 

Si en 1926, Melanie Klein propose l'idée que, le garçon, comme la fille, adopte une attitude féminine devant le père, en 1928, elle laisse planer la possibilité que le garçon adopte une attitude masculine avant cette position féminine. Cette idée ne se retrouve plus dans le livre de 1932 et Hanna Segal, dans sa présentation de l'oeuvre de Melanie Klein ne fait pas mention de la position masculine première mais, semble en intégrer les aspects les plus importants dans la position féminine décrite. 

La grande acquisition de 1928 concerne le rôle du "besoin de savoir" dans les attaques sadiques dirigées contre les parents. Ainsi, tout le développement cognitif de l'enfant allait se centrer sur la scène originaire ou, ce qui lui est antérieur, le fantasme des parents combinés (1929b). Les questions sur l'origine des enfants et sur la nature des rapports entre les parents sont au cœur du désir de savoir de l'enfant. La frustration de l'enfant devant cette "chose" qu'il ne peut comprendre l'amène à diriger ses attaques sadiques sur le couple parental combiné. 

Dans son article sur "les situations d'angoisse de l'enfant et leur reflet dans une œuvre d'art et dans l'élan créateur" ( Melanie Klein, 1929b), Melanie Klein entreprend de décrire la "phase d'apogée du sadisme" et de la situer dans le schéma du développement sexuel emprunté à Abraham et qui demeurait à cette époque la référence pour elle. 

Cette phase où le sadisme est à son comble, Melanie Klein la relie au stade oral cannibalique et affirme qu'elle se poursuit sans le premier stade sadique anal qui demeure pour elle comme pour Abraham une importante ligne de démarcation entre la psychose et la névrose. 

Dans une série d'articles comprenant "La personnification dans le jeu de l'enfant" (1929a), "L'importance de la formation du symbole dans la formation du moi" (1930a) et la "Contribution à la théorie de l'inhibition intellectuelle" (1931), Melanie Klein élabore sa théorie du symbolisme et la met en rapport avec sa technique du jeu. Selon elle, l'intérêt de l'enfant pour le ventre de la mère constitue la première manifestation du besoin de savoir. Sous l'effet du sadisme de l'enfant, le ventre maternel, fantasmé comme contenant le pénis du père, le lait, les bébés et les fèces, est attaqué et détruit. Le surmoi, qui se forme à cet âge agit comme le miroir de la pulsion, selon la loi du talion. Les objets attaqués deviennent donc des persécuteurs, ce qui déclenche beaucoup d'angoisse chez l'enfant. Dans le but de contenir cette angoisse, l'enfant va établir des équations symboliques entre les objets, ceux-ci devenant identiques et absolument interchangeables. Le refoulement de la représentation de l'objet originaire et la perte de puissance de la projection et du clivage vont permettre à l'enfant l'établissement véritable du symbole. Un sadisme trop puissant dirigé vers l'objet ou l'incapacité de l'objet de résister à l'attaque entraînera un blocage de ce processus et donc une inhibition intellectuelle (1931) ou un retrait du monde réel (1930a), comme dans le cas de Dick, le petit enfant psychotique que plusieurs décrivent comme un enfant autistique, tel que décrit par Kanner. À propos de Dick, qui fut traité vers 1930, nous savons aujourd'hui qu'il est guéri de sa psychose, mais qu'il demeure d'une intelligence lente. 

Dans un bref article sur "Les psychothérapies des psychoses" (1930b), Melanie Klein, après avoir reconnu l'étonnante fréquence et le caractère particulier de la psychose chez l'enfant, établit un lien étroit entre ces pathologies et sa théorie du symbolisme. La psychose serait ainsi le fait d'une incapacité de l'enfant d'établir une distinction entre l'objet d'origine (le ventre de la mère) qui est visé par le sadisme, et les autres objets de la réalité, provoquant le retrait défensif de l'investissement. 

En 1932, la publication de "La psychanalyse des enfants" vient établir une synthèse des travaux de Melanie Klein depuis 1919. Ce livre fut généralement bien accueilli en Angleterre et continua la controverse sur le continent. Glover publia un compte rendu dans l'ensemble très favorable de ce livre. Ses critiques peuvent être résumées ainsi: le style de l'écriture est lourd; les forces libidinales sont souvent occultées par le sadisme; et finalement, il n'existe pas d'évidence clinique pour le premier stade oral anobjectal postulé par Abraham, auquel Melanie Klein reste fidèle. Nous verrons plus loin que Melanie Klein a tenu compte de ces critiques. 

C'est dans l'article de 1933 sur "Le développement précoce de la conscience chez l'enfant" que Melanie Klein introduit l'idée avancée par Freud d'une pulsion de mort. Elle avait parlé jusqu'alors de pulsion agressive ou de pulsion destructrice, concepts qui ont souvent été confondus avec celui de pulsion de mort. Mais à partir de 1933, l'opposition entre la pulsion de vie et la pulsion de mort allait devenir un des traits fondamentaux de la théorie kleinienne. 

Cette période se termine avec la publication du texte d'une conférence sur la criminalité (1934a) qui reprend certaines idées de 1927 qu'elle vulgarise à l'intention d'un public de non-initiés. 

Jusqu'en 1934, Melanie Klein a exploré un domaine sombre de la psychanalyse en utilisant les donnés de sa clinique auprès des enfants et en les reliant dans la mesure du possible aux idées de Freud, et surtout à celles d'Abraham. La référence continuelle à Abraham et à Freud ne se fait pas sans un certain inconfort et même certaines déformations. 

Melanie Klein allait bientôt être forcée à créer son propre système et sa théorie du développement allait sortir des ornières tracées par ses maîtres. . 

Alors que les années 1928 à 1934 avaient été la période de l'élaboration d'un travail intensif et productif qui recueillait l'approbation de la majorité des membres de la société britannique de psychanalyse, les choses allaient prendre une toute autre allure maintenant. 

En 1932, la fille de Melanie Klein, Melitta, et son mari Walter Schmideberg venaient s'installer à Londres. À partir de ce moment, les relations entre les deux femmes allaient se détériorer rapidement. L'année 1933 apporte un grand malheur: Hans, le fils aîné de Melanie Klein, meurt à vingt-six ans dans un accident de montagne. 

Au plan professionnel, l'année 1934 ouvre une nouvelle période dans l'oeuvre kleinienne. "La psychanalyse des enfants" (Melanie Klein, 1932) avait clos une première poussée théorique dont les acquisitions avaient été fort nombreuses. Nous pouvons les résumer très sommairement selon quatre grands thèmes: 

1: Le développement de la technique de l'analyse par le jeu permet d'appliquer au traitement de l'enfant les mêmes principes qu'avec les adultes. 
2: L'importance chez l'enfant de fantasmes de nature sadique est mise en évidence, ce qui soulève beaucoup de réticences chez les analystes. 
3: Le complexe d'Oedipe commence lors du sevrage et l'enfant adopte tantôt une position féminine, tantôt une position masculine. 
4: Le surmoi commence à se structurer dès le début de l'Oedipe et est au début d'une sévérité correspondant au sadisme de l'enfant. Ces points de vue étaient assez généralement acceptés en Angleterre, mais demeuraient l'objet de controverses sur le continent. 
La publication de "Contribution à l'étude de la psychogenèse des états maniaco-dépressifs" (1934b) est venue raviver et envenimer la querelle entre les écoles, mais avec un certain retard. Le nouveau système kleinien prenait forme alors que l'ancien, qu'il prolonge, est encore mal connu et sujet à beaucoup de résistance. 

En 1934, Melanie Klein introduit le concept de position qu'elle définit par un rapport de certains mécanismes de défense à des angoisses particulières. Cet article introduit surtout la position dépressive dont Melanie Klein fait le centre du développement et à laquelle elle associe la phase d'exacerbation du sadisme développée vers 1932. La position paranoïde est mentionnée, mais n'est définie qu'en rapport à la position dépressive. 

Dans cet article qui suit la lignée des textes de Freud et d'Abraham, Melanie Klein amorce une révision complète de la théorie du développement. Délaissant quelque peu la notion des stades libidinaux, Melanie Klein développe l'idée des positions psychotiques et place sa théorie définitivement sous l'angle de la relation objectale. Dans les écrits de cette époque, nous retrouvons en fait trois positions distinctes: 1- la position paranoïde qui était appelée à être développée ultérieurement; 2- la position maniaque, qui disparaîtra de la théorie; 3- la position dépressive dont la description allait occuper Melanie Klein durant plus d'une décennie, soit de 1934 à 1946. 

Vers 1935, les divergences qui opposaient les analystes britanniques aux viennois commençaient à inquiéter Ernest Jones. Ces divergences étaient reliées dans l'ensemble au travail de Melanie Klein, mais ne se limitaient pas à cela. Ernest Jones se rendit à Vienne en avril 1935 pour défendre ses idées personnelles. Il aborda aussi avec Freud la défense de l'oeuvre de Melanie Klein. Il raconte à ce sujet (1957): 

Au cours d'une longue discussion avec Freud, je défendis le travail de Melanie Klein, mais on ne pouvait s'attendre à ce qu'il fût absolument ouvert à la critique alors qu'il dépendait tellement des soins et de l'affection de sa fille. Peu de temps après ma visite, il m'écrivit: "Je ne considère pas que nos divergences théoriques soient légères, mais aussi longtemps qu'elles ne ressentiment, elles ne sauraient avoir d'effets fâcheux. Je puis affirmer avec force que nous autres à Vienne N'avons apporté aucune mauvaise foi dans notre opposition, et votre amabilité a compensé la manière dont Melanie Klein et sa fille se sont comportées vis-à-vis d'Anna. Il est vrai que je suis d'avis que votre société a suivi Madame Klein sur une mauvaise voie, mais la sphère d'où elle tire ses conclusions m'est étrangère. Aussi, n'ai-je pas le droit de m'en tenir à une conviction ferme." (p. 225)

Cette longue citation nous est apparue importante puisqu'elle exprime assez clairement une facette de l'attitude de Freud envers Melanie Klein. Nous ne retrouvons de référence aux travaux de Melanie Klein qu'à deux reprises dans les textes de Freud. En 1929, dans "Malaise dans la civilisation", Freud concède à Melanie Klein que la sévérité du surmoi n'est pas en relation avec les parents réels, mais plutôt avec le retour sur le moi de la composante agressive de la pulsion. En 1931, dans son article controversé "Sur la sexualité féminine", Freud reprend les critiques formulées en 1930 par Otto Fenichel qui rejetait les stades archaïques du complexe d'Oedipe, accordant toutefois que l'enfant s'attache particulièrement à l'un ou l'autre de ses parents avant l'Oedipe mais ajoutant que le contenu de la relation n'est pas le même. Pour le reste, Freud garde le silence. 

Suite à la visite de Jones à Vienne, Robert Waelder se rendit à Londres en 1936 où il lut un texte intitulé: "The Problem of Freedom in Psychoanalysis and the Problem of Reality Testing". L'article de Robert Waelder s'attachait à critiquer les travaux de Melanie Klein. L'année suivante, Joan Riviere poursuivait l'échange en lisant son article "Sur la genèse du conflit psychique dans la toute première enfance" devant les membres de la société viennoise. 

Robert Waelder répliquait en 1937 au texte de Joan Riviere en critiquant l'universalité de l'agressivité attribuée aux nourrissons, la notion de surmoi archaïque, le terme de psychotique attribué aux angoisses de l'enfant et la négligence apparente de la réalité. Définitivement, ces discussions n'avaient pas rapproché les deux groupes. 

Pour sa part, Melanie Klein avait publié en 1936 un article sur le sevrage dans un livre sur l'éducation des enfants. Ce texte de vulgarisation contient des conseils adressés aux parents dans le quotidien de l'éducation des enfants normaux. Dans la même veine, elle publie en 1937 un petit livre en collaboration avec Joan Riviere intitulé "L'amour et la haine". Melanie Klein a écrit la partie de ce livre intitulé "L'amour, la culpabilité et le besoin de réparation". Ces deux articles sont essentiellement consacrés à une description vivante de la position dépressive dans le vécu quotidien. 

L'approche de la deuxième guerre mondiale et l'augmentation des persécutions contre les Juifs en Allemagne allaient provoquer un changement important au sein de la Société britannique de Psychanalyse. Vers la fin des années trente, la composition du groupe anglais fut complètement transformée par l'arrivée de nombreux psychanalystes viennois et berlinois ainsi que par la venue de Freud et de sa famille, en 1938, relançant, dans cette atmosphère tendue, les controverses qui se doublaient alors d'une lutte de pouvoir. 

Seule la guerre a pu retarder l'affrontement final entre les divers groupes. En 1939, Melanie Klein quitte Londres en raison de la guerre et décide de s'établir à Pitlochry, en Écosse, où elle reprend l'analyse de Dick et commence l'analyse de Richard, qui servira de toile de fond à l'article sur "Le complexe d'Oedipe éclairé par les angoisses précoces" (Melanie Klein, 1945). L'analyse de Richard sera publiée en entier en 1961 dans "La psychanalyse d'un enfant" 

Au retour à Londres, en 1942, les disputes reprennent de plus belle. Ernest Jones décide alors d'organiser une série de onze rencontres entre les deux groupes kleiniens et anti-kleiniens. Ces "Controversial Discussions", comme il convient de les nommer, eurent lieu entre janvier 1943 et mai 1944. 

Les articles présentés par les kleiniens et qui devinrent de grands classiques, furent "Nature et fonction du phantasme" (Isaacs), "Certaines fonctions de l'introjection et de la projection dans la première enfance" (Heimann) et "La régression" (Heimann et Isaacs). Melanie Klein a prononcé une conférence qui ne fut jamais publiée, mais qui portait sur la position dépressive et son importance dans le développement de l'enfant. 

Ces discussions ne permirent pas une réconciliation entre les deux groupes, mais aboutit tout de même à une coexistence pacifique grâce à une division administrative de la Société britannique de Psychanalyse. Deux groupes furent créés: le groupe A comprenait les kleiniens et le middle group, soit les non-alignés; le groupe B regroupait Anna Freud et ses disciples. 

Mais, durant ces années de nombreuses relations furent troublées. Ernest Jones, qui avait fait venir Melanie Klein en Angleterre pour analyser certains de ses proches, vraisemblablement sa femme et ses enfants, dut s'éloigner d'elle avec l'arrivée de Freud et de sa fille. Nous savons par la correspondance entre René Laforgues et Freud que Melanie Klein fréquentait la famille Jones avant l'arrivée des Freud et Melanie Klein semble avoir mal accepté cet éloignement. 

Même s'il se trouvait dans une situation délicate, Ernest Jones n'a jamais cessé d'affirmer son appui aux travaux de Melanie Klein tout en émettant certaines réserves. Melitta Schmideberg (fille de Melanie Klein, rappelons-le) donne dans un article paru en 1971 une toute autre appréciation de la situation. Selon elle, Melanie Klein était très intransigeante et après son arrivée en Angleterre, elle a formé un groupe autour d'elle qui méprisait ceux qui n'étaient pas acquis à ses idées; dont Edward Glover et Ernest Jones. Ceux qui s'opposaient à Melanie Klein étaient traités d'instables et rejetés. Ce fut bientôt au tour de Melitta Schmideberg d'être l'objet de ces persécutions. Cette dernière fit front commun avec son analyste Edward Glover contre sa mère, Melanie Klein. C'était là une situation délicate qui dépassait de beaucoup les problèmes courants, surtout à l'époque, reliés aux analyses entre collègues. Phillis Grosskurth propose une analyse intéressante des enjeux personnels reliés à cette situation explosive. 

Suite à ces controverses et aux compromis qui en résultèrent, les anti-kleiniens se retrouvèrent isolés. Anna Freud établit son groupe à la Hampstead Clinic, Edward Glover quitta la Société britannique de Psychanalyse, Melitta et Walter Schmideberg décidèrent de s'établir aux États-Unis où elle poursuivit des travaux dans l'optique d'August Aichhorn et des tout premiers textes d'Anna Freud. 

Les années de dispute ont été bénéfiques pour Melanie Klein. Elle dut en particulier avoir recours à une plus grande rigueur dans sa théorisation. Elle publia en 1940 "Le deuil et ses rapports avec les états maniaco-dépressifs" qui reprend les idées de 1934(b) sur la position dépressive en faisant une plus grande place aux composantes créatrices de cette position. Dans cet article, elle décrit pour la première fois un véritable monde intérieur où les objets sont en relation les uns avec les autres, ce qui marque déjà une évolution sur le texte de 1934 où les objets internes sont plutôt vus, comme chez Freud et Abraham, isolément. 

Cette période consacrée à l'élaboration théorique de la position dépressive se termine en 1945 avec "Le complexe d'Oedipe éclairé par les angoisses précoces" dans lequel le complexe d'Oedipe est définitivement relié à la position dépressive. 

Melanie Klein était maintenant prête à aborder la dernière phase de l'élaboration de sa théorie. 

Durant les quinze dernières années de sa vie, Melanie Klein demeura très active et ne ralentit pas son rythme de production. Au contraire, durant cette période, elle publia quatorze articles et deux livres, la plupart d'une grande richesse. 

Malgré la publication d'une critique violente de son œuvre par Edward Glover, puis d'un texte plus modéré et bien pensé par Bibring, ce dernier texte ouvrant la voie à une attitude critique plus posée qui sera celle, par exemple d'Elisabeth Zetzel , cette dernière phase de l'oeuvre de Melanie Klein sera marquée par un climat plus sain grâce auquel la théorie pourra acquérir toute la richesse qui lui est reconnue même par ceux qui ne manquent pas de critiquer sévèrement son point de vue métapsychologique et sa conception de la position schizo-paranoïde. 

Vers la fin des années quarante, Melanie Klein abandonne la pratique de l'analyse des enfants avec laquelle elle garde un contact étroit par la supervision du travail d'autres analystes. Cette dame maintenant âgée qui avait été surnommée, lors de son séjour à Berlin, la "beauté brune", était à son mieux dans les discussions de cas où elle faisait preuve d'une extraordinaire sensibilité aux manifestations transférentielles. Scott nous souligne qu'il était souvent plus éclairant de l'écouter que de lire ses textes. 

De fait, de nombreux auteurs importants ont profité de ses enseignements à la société britannique de psychanalyse. Outre ses principaux disciples (Segal, Rosenfeld, Bion, et bien d'autres), des gens comme Winnicott, Zetzel, Kernberg et Bowlby, pour ne nommer que ceux-là, ont assisté à ses cours ou ont eu des supervisions avec elle. 

Au plan théorique, le texte de 1934 sur les états maniaco-dépressifs avait introduit la position paranoïde et la position dépressive. Jusqu'en 1945, c'est surtout cette dernière qui fut explorée et dont l'importance fut soulignée. À partir de 1946, cette situation change. La position paranoïde devient la position schizoïde (avant de devenir la position schizo-paranoïde en 1952) et commence à être étudiée plus en détail. 

En 1946 donc, Melanie Klein pose le premier véritable jalon de l'étude de la position schizo-paranoïde. Les "Notes sur quelques mécanismes schizoïdes", que plusieurs reconnaissent comme le plus important texte écrit par Melanie Klein, est aussi celui qui est le plus cité, en particulier par les nombreux auteurs qui ont écrit sur la psychose ou la toute première enfance. 

Elle revient en 1948 avec un texte d'une grande richesse portant "Sur la théorie de l'angoisse et de la culpabilité". Dans ce texte dont la portée est souvent sous-estimée par les critiques, Melanie Klein pousse plus avant ses idées sur la métapsychologie et se démarque de plus en plus de Freud. Nous aborderons dans un autre texte le contenu de cet article. 

Aux congrès internationaux de psychanalyse de 1949 à Zurich et de 1951 à Amsterdam, Melanie Klein apporte deux courtes contributions à la théorie de la technique analytique. L'article "On the criteria for the termination of a psycho-analysis" (1950) propose de nouveaux critères pour décider de la fin d'une analyse. Ces critères (établissement stable d'un bon objet, diminution des angoisses paranoïdes, etc.) sont typiques d'une théorie basée sur les relations entretenues avec l'objet. Le deuxième article, "Les origines du transfert" (1952c), est d'une grande importance théorique puisqu'il traite de thèmes majeurs comme l'Oedipe, l'envie, le narcissisme et le fantasme. 

La même année, Melanie Klein publie un bref commentaire à la suite du rapport d'Heinz Hartmann intitulé "The mutual influences in the development of Ego and Id" (1952). Elle y réaffirme sa conviction que la pulsion de vie et la pulsion de mort sont en lutte dès le début de la vie et président à l'établissement des premières relations d'objet; et ce à une période très primitive du développement (1952d). 

En 1952, Melanie Klein fête son soixante-dixième anniversaire de naissance. À cette occasion, The International Journal of Psycho-analysis lui consacra un numéro spécial contenant des articles rédigés par ses élèves et ses collaborateurs. Ces textes furent réédités en 1955 dans un livre intitulé "New directions in psycho-analysis" qui regroupe de nombreux articles d'auteurs kleiniens fort réputés. Melanie Klein, pour sa part publie dans ce volume un article attendu depuis longtemps, consacré à la technique psychanalytique d'analyse par le jeu. Ce texte se veut à la fois historique, assez concret et pratique. Elle y joint l'analyse d'un roman de Julien Green intitulé "Si j'étais vous". Elle utilise ce roman pour expliciter sa théorie de l'identification projective qui prenait de plus en plus une place importante dans sa théorie de la position schizo-paranoïde (1955b). 

Pendant ce temps étaient parus, en 1952, les textes des conférences présentées par les kleiniens lors des "controversial discussions" de 1943-1944. Regroupés sous le titre "Développements de la psychanalyse", ces articles forment un livre d'une grande qualité théorique. Melanie Klein n'a pas publié dans ce livre le texte qu'elle avait présenté en 1943-1944 et qui était devenu désuet sur certains aspects, mais plutôt une deuxième version des "Notes sur quelques mécanismes schizoïdes"(1946), une réédition de l'article de 1948 sur l'angoisse et la culpabilité, en plus de deux contributions originales d'aspect beaucoup plus pratique: "En observant le comportement des nourrissons"(1952b) et "Quelques conclusions théoriques au sujet de la vie émotionnelle des bébés"(1952a). 

Melanie Klein avait près de soixante-douze ans lorsqu'elle publia "Envie et gratitude"(1957a). Cette dernière contribution importante à la psychanalyse semble avoir beaucoup bouleversé son auteur. En effet, Hanna Segal rapporte qu'à cette époque, Melanie Klein a traversé une période de dépression qu'elle relie au contenu du livre. Melanie Klein qui se montrait si optimiste dans ses premiers travaux (1921; 1923b; 1926; 1927) se fait beaucoup plus réaliste quant à la possibilité de guérir des cas très lourds. 

Le travail sur l'envie, concept qui est très étroitement lié à la pulsion de mort, a eu le même effet sur Melanie Klein que "Au delà du principe de plaisir" sur Freud. Tous deux ont alors manifesté un grand pessimisme face à l'avenir, attitude que Freud a exprimée dans plusieurs œuvres, mais surtout dans son "Malaise dans la civilisation". 

Durant cette même époque, Melanie Klein perdit sa grande amie et collaboratrice Lola Brooks et rompit son amitié avec Paula Heimann, vraisemblablement en raison entre autres de divergences théoriques. La période dépressive fut assez brève et ceux qui l'ont connu avaient de la difficulté à croire qu'elle était très dépressive lorsqu'elle avait consulté Ferenczi en 1917. Scott raconte qu'elle était une femme très vive et enjouée dont le rire sincère était particulièrement marquant. Il raconte aussi qu'elle était très active tant au sein du mouvement analytique que dans sa vie privée où elle appréciait les arts, la nature, le théâtre et la musique. 

Au sujet de sa vie privée, nous savons peu de choses. Il est établi, malgré la discrétion qui a entouré ce sujet, que Melanie Klein eut en Angleterre une longue liaison avec un homme dont Melanie Klein parlait comme étant l'amour de sa vie. Elle eut aussi de nombreuses amitiés auxquelles elle accordait beaucoup d'attention. Elle demeura très proche de son fils Erich, de son épouse et de leur fils Michael qui manifestait beaucoup d'affection à sa grand-mère. 

Au cours de ses dernières années, Melanie Klein publia quelques articles assez concis. Dans son texte "Sur le développement du fonctionnement psychique" (1957b), elle tente avec assez peu de succès de résumer sa position sur la métapsychologie. De plus, en 1959, elle prononce deux conférences; une devant un public de sociologues portant sur "Les racines infantiles du monde adulte" (1959), et une autre au congrès de psychanalyse de Copenhague intitulée "Note sur la dépression chez le schizophrène" (1960a). Elle ajoute à cette production un bref article "On mental healt" (1960b) dans lequel elle présente ses vues sur la maturité psychologique et la santé mentale. 

Au début de l'été 1960, Melanie Klein se plaignit de fatigue. Son médecin lui conseilla des vacances. Aussi, elle se rendit en Suisse chez son amie la psychanalyste Esther Bick. Elle eut alors une grave hémorragie et dut retourner à Londres où un cancer fut diagnostiqué. Une opération fut pratiquée et tous étaient optimistes quant aux résultats. Durant les jours qui suivirent l'opération, elle porta une dernière main à son livre "Psychanalyse d'un enfant" (1961) qui raconte, séance par séance, l'analyse d'un petit garçon de dix ans nommé Richard. Cette analyse avait été effectuée durant la deuxième guerre mondiale, pendant son séjour en Écosse. 

Le 22 septembre 1960, à l'âge de soixante-dix-huit ans, Melanie Klein est morte des suites d'une seconde hémorragie. Cette nouvelle a bouleversé les milieux de l'analyse et de nombreux articles furent consacrés à ses multiples réalisations. 

Trois ans plus tard, deux articles posthumes sont venus compléter son œuvre: "Se sentir seul" (1963a), article qui relie le sentiment de solitude au clivage fondamental du self qui remonte au tout début de la vie; puis "Réflexions sur l'Orestie" (1963b), texte d'Eschile qui porte sur le matricide. 
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La carrière de Melanie Klein a été d'une rare fécondité. En quarante ans de travail, elle a ouvert la voie au traitement psychanalytique des enfants et des cas les plus lourds de psychopathologie adultes, en plus de fournir une théorie originale des toutes premières années de la vie. Son travail a toujours été marqué du sceau de la controverse. Nos lectures sur son œuvre nous ont fait découvrir qu'elle attire les réactions extrêmes. Les commentaires vont de l'admiration béate au rejet total. "Ce fut son destin que de choquer même les psychanalystes" écrit Serge Lebovici, et il a bien raison. Plus que tout, c'est probablement sa quête passionnée d'un idéal qui a rebuté plusieurs de ses collègues. Elle a toujours défendu une psychanalyse qu'elle voulait "pure". Son refus du compromis et sa lutte continuelle contre tout ce qu'elle croyait être une marque d'incompétence n'ont pas manqué de dresser ses adversaires contre elle. 

En 1980, Olivier Flournoy écrivait, à propos de l'oeuvre de Melanie Klein, non sans une certaine ironie: "On ne se dispute plus, on refoule les passions, le temps est à la confrontation bien orchestrée entre gens polis qui en pensent plus long qu'ils n'en disent".

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