Sigmund Freud est né le 6 mai 1856 à Freiberg en Moravie, une petite ville comptant alors environ 4500 habitants. Son père, Jacob, et son grand père travaillaient dans le commerce de la laine et dans l’importation de produits agricoles venant de Galicie d’où ils étaient originaires.
À l’âge de 16 ans, le père de Freud, Jakob, épousa en première noce Sally Kanner dont il eut deux fils, Emanuel (1834-1915) et Philipp (1838-1912). En 1852, Sally mourut et Jakob se remaria peu après. Tout ce que l’on sait de sa seconde épouse est qu’elle s’appelait Rebecca et qu'ils n’eurent pas d’enfant ensemble.
Jacob épousa Amalia Nathanson, sa troisième femme et future mère de Sigmund. Née à Brody le 18 août 1835, elle était de 20 ans plus jeune que lui que son conjoint. Amalia était une femme énergique, vive et qui se pouvait se montrer parfois tyrannique. Jacob offre plutôt l'image d'un père sympathique, généreux et sans autorité. Le couple était atypique pour l’époque, du fait de leur différence d’âge et des mariages précédents du père.
Ils eurent Sigismund (qui changera son prénom pour Sigmund 22 ans plus tard) un an après leur mariage. En complément de son prénom allemand Sigismund, on donna à l’enfant le prénom juif de son grand père Salomon (de Schlomo: le Sage) mort peu avant sa naissance.
Freud eut cinq sœurs et deux frères. Un frère vint au monde avant sa première année, Julius, en octobre 1857 mais il ne survécut que huit mois. Cet événement semble s'inscrire en filigrane à plusieurs endroits dans l'oeuvre freudienne. Un autre frère, Alexander vint dix ans plus tard (le 19 avril 1866). Entre les deux naquirent cinq sœurs : Anna, le 31 décembre 1858, Regine Debora (Rosa) le 21 mars 1860, Maria (Mitzi) le 22 mars 1861, Ester Adolfine (Dolfi) le 23 juillet 1862 et Pauline (Paula) le 3 mai 1864.
Lorsque Freud eut 3 ans, son père connut des difficultés professionnelles, le machinisme dans la production textile menaçait l’artisanat. De plus, le chemin de fer qui jusque-là garantissait à la ville de Freiberg sa situation stratégique sur le plan du commerce fut prolongé. La famille composée alors du couple et de seulement deux enfants (Sigmund et Anna) prit donc la direction de Leipzig puis quelques mois plus tard de Vienne. Freud avait alors 4 ans.
La légende décrit Sigmund comme un enfant hardi et bienheureux, brillant à l’école où il réussit dès l’âge de neuf ans son épreuve d’admission au Communal-Real-und Obergymnasium de Leopoldstat où il passa ses six premières années de lycée toujours premier. Ce fut à partir de 1871 que commença sa correspondance avec Eduard Silberstein avec lequel il partagea son intérêt pour la pensée de Ludwig Feuerbach. Il lut le manuel de psychologie empirique de Johann Friedrich Herbart la même année. À 17 ans, il réussit l’examen de maturité avec la mention "excellent".
Son ami de jeunesse est Heinrich Braun, lequel s’orientera plus tard vers la politique sociale. Freud faillit le suivre, hésita à faire son droit. Il approcha le philosophe Franz Brentano qui accepta de diriger sa thèse en philosophie, véritable passion secrète de Freud dont on retrouve plusieurs trace tout au long de ses écrits. C’est finalement à la lecture de l’essai de Carl Brühl sur "la Nature" que Freud, vivement impressionné par le texte, se décida finalement à se consacrer aux études médicales.
En automne 1873, il s’inscrivit à l’université de Vienne. Il ne fut diplômé que huit ans plus tard. Après 5 ans d’études sérieuses, Freud se livra à des recherches personnelles à l’Institut de physiologie et ne se présenta même pas aux examens de fin d’année. Après 3 ans de sursis, il passa finalement les 3 épreuves orales en dix mois. Il profita à ce moment-là de la grande compréhension de ses parents qui avaient pourtant des difficultés financières constantes. Son père dut accepter de le voir choisir la voie de la médecine, lui qui aurait préféré que son fils prenne la relève dans le commerce.
En 1876, Freud a 20 ans.
Freud, ayant donc complété ses études, entreprit son premier travail scientifique indépendant à l’instigation de son professeur de zoologie, Carl Claus. Il obtint, à l’université de Trieste, deux bourses pour ses recherches sur les anguilles mâles des rivières dont il publia les résultats un an plus tard. Freud évalua la possibilité que la différentiation sexuelle ne soit pas prédéterminée sur le plan génétique chez les anguilles. Idée qui fut expérimentalement confirmée plus tard sans que jamais ni Freud, ni son professeur n’aient eu conscience de la portée de ces travaux.
Freud considéra même ces recherches comme un échec et choisit de quitter l’Institut de Zoologie pour celui de Physiologie où il passa 6 années (de 1876 à 1882) sous la direction de Ernst Wilhelm von Brücke, éminent représentant de l’école anti-vitaliste en physiologie dirigée par Hermann Helmholtz et Emile Du
Bois-Reymond.
Brücke s’était fixé comme objectif de prouver que toutes les manifestations de la vie pouvaient s’expliquer par l’action des forces physico-chimiques. Freud publia d’importants travaux à cette époque*, ce qui pouvait laisser présager qu’il commençait une importante carrière dans ce domaine. Il y renonça toutefois lorsqu’il tomba amoureux de Martha Bernays dont il fera plus tard son épouse.
Une fois fiancé, en juin 1882, Freud dû songer à assurer son indépendance financière. Une promotion à l’Institut de Physiologie se faisant trop tarder, il dut se préparer à ouvrir son cabinet médical privé. Il passa les trois premières années à l’hôpital Générale de Vienne tout en continuant ses recherches scientifiques jusqu’au terme de sa formation clinique. Travaillant d'abord dans le service du Docteur Hermann Nothnagel, Freud devint l'assistant de Theodor Meynert dès 1883.
Freud commença à étudier les propriétés de la cocaïne en avril 1884. Il organisa une pathogénésie de la substance puis rédigea une monographie dans laquelle il démontra les propriétés analgésiques de la drogue. Freud attendait beaucoup de l’impact éventuel que ce travail pouvait avoir sur la société médicale de l’époque. Malheureusement pour lui, la reconnaissance revint à son ami d’étude Carl Koller qui découvrit au même moment l’action anesthésiante de la cocaïne sur l’œil. Du jour au lendemain, Koller se fit une réputation internationale car, grâce à cette découverte, les interventions chirurgicales en ophtalmologie devenaient possibles. Freud fut très déçu d’avoir négligé cet aspect de la recherche et de voir le succès ainsi lui échapper.
La cocaïne lui apporta une seconde déception. Son ami et maître Ernst von Fleischl-Marxow, rencontré sept ans auparavant dans le laboratoire de zoologie, prenait beaucoup de morphine car il souffrait d’une infection contractée sur un cadavre lors d’une dissection. Freud pensa le désintoxiquer de la morphine par la cocaïne, ne sachant pas à l’époque que la cocaïne pouvait entraîner les mêmes effets de dépendance que la morphine. Il provoqua chez lui une forte intoxication. Deux ans plus tard, il sera accusé publiquement d’avoir lâché un nouveau fléau sur l’humanité.
Le 21 janvier 1885, Freud posa sa candidature pour enseigner, en qualité de Privatdozent (équivalent de Maître de conférence en France), à l’université de Vienne. Cette charge était la plus haute qu’un jeune médecin pouvait alors se fixer. Il fut nommé 6 mois plus tard grâce à l’appui de son ancien professeur Ernst von Brücke ainsi que de ses professeurs du moment, Hermann Nothnagel et Theodor Meynert (anatomiste du cerveau et psychiatre) dont il était l’assistant. Ce poste lui assurait une réputation établie et une importante clientèle.
À la même époque, un second événement marqua un tournant inattendu dans la vie de Freud. Il posa sa candidature à la faculté de médecine qui attribuait annuellement une bourse de voyage en l’honneur du jubilé de l’université. Freud fut cette fois encore nommé grâce à l’intervention énergique de son ami Joseph Breuer.
Dans le cadre de ses consultations privées, Breuer avait en charge une patiente entrée plus tard dans la littérature médicale sous le nom d’"Anna O." (dont on sait aujourd’hui qu’il s'agissait de Bertha Pappenheim, célèbre militante en faveur des droits de la femme). Breuer confia à Freud que lorsque sa patiente se trouva en état d’hypnose, elle se souvint de tous les détails de la situation originelle dans laquelle ses symptômes hystériques étaient apparus. Elle libéra à ce moment-là ses affects jadis réprimés, ce qui fit disparaître ses symptômes. Freud fut très impressionné par ce cas.
Il se rendit à Paris dès l’obtention de sa bourse, en 1885, et y séjourna plusieurs mois. Il travaillait à la Salpêtrière où enseignait Jean-Martin Charcot, le plus célèbre neuropathologiste de l’époque. Charcot avait réussi déjà à cette époque à donner sa place dans le milieu scientifique médical à une certaine forme de névrose la plus répandue à l’époque. Il avait démontré aussi que les manifestations sous hypnose avaient un caractère de réalité et avait introduit un ordre de classification clinique à la symptomatologie hystérique. En démontrant que les symptômes hystériques pouvaient être produits sous hypnose, il indiquait la voie pour l’étude de leur genèse.
Freud tenta de rapporter à Charcot le cas d’Anna O. mais ce dernier n’y prêta pas une attention particulière.
À son retour à Vienne, Freud traduisit "Les leçons du Mardi" de Jean-Martin Charcot et le 15 octobre 1886, il donna une conférence sur l’hystérie masculine à la Société des médecins de Vienne. L’accueil fut hostile, on estima que Freud attribuait à Charcot la paternité de notions déjà connues à Vienne.
La période commençant en 1900 avec la publication du livre sur l’interprétation des rêves marque l’entrée de Freud dans sa pleine maturité. Les principaux fondements théoriques de la psychanalyse sont en place et vont permettre à Freud, graduellement entouré de disciples et de collègues, de se lancer dans l’exploration du psychisme humain et de peaufiner peu à peu une technique d’intervention dont l'élaboration ira de paire avec les avancés théoriques effectués.
Âgé de quarante-quatre ans en 1900, Freud va publier pendant une quinzaine d’années, à un rythme impressionnant, une série d’ouvrages qui vont bouleverser le monde. Empruntant les voies les plus diverses, Freud ne cessera de remettre en questionnement ses élaborations théoriques en les confrontant tantôt à la vie quotidienne, tantôt à la clinique des maladies mentales, tantôt à des domaines de connaissance connexes.
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Le travail d'autoanalyse qui permit à Freud de découvrir le rôle des rêves dans la vie psychique et de publier son livre sur l'interprétation des rêves a aussi occasionné certains bouleversements dans sa vie personnelle. L'amitié passionnée qu'il vouait à Fliess, et qui fut au coeur de son autoanalyse, se refroidit graduellement jusqu'à donner lieu à des disputes violentes et déchirantes. Freud, qui avait jusqu'alors largement méconnu les différences fondamentales entre sa pensée et celle de Fliess en qui il s'acharnait à voir un génie et un alter ego, prit ses distances et comprit peu à peu les griefs qu'il nourrissait envers son collègue. Plusieurs rêves rapportés dans le livre de 1900 témoignent de cet état d'âme.
Un incident impliquant Freud et Fliess entraîna la rupture définitive entre les deux hommes. Un certain dénommé Swoboda, qui fut un patient de Freud à cette époque, était un ami et un collaborateur de Otto Weininger, un théoricien qui connut un vif succès à l’époque en soutenant des idées originales et provocantes. Weininger publia dans un livre des idées fort semblables à celles élaborées par Fliess sur la bisexualité. Il n’en fallut pas plus pour que ce dernier accuse Weininger de plagiat et établisse que Freud était celui qui avait vendu la mèche en discutant avec son patient. Plagiat, vol d’idées, vol des pensées, voilà autant de thèmes qui hanteront l’histoire de la psychanalyse.
Le dénouement de la relation quasi transférentielle avec Fliess laissa Freud meurtri et blessé. Plus conscient désormais de sa propension aux amitiés passionnelles et idéalisantes, Freud abordera ses amitiés avec une certaine méfiance, attitude qu’il négligera plus tard lors de sa rencontre avec Carl Gustav Jung avec qui il revivra un peu la même situation.
Le grand livre sur les rêves publié en 1900 donna lieu à la publication de deux ouvrages devant l’appuyer et qui eurent des sorts assez différents. D’abord, le petit opuscule Sur le rêve (1901) se présente comme une sorte de résumé dépouillé visant un vaste public. Le deuxième de ces textes est le Fragment d'une analyse d'hystérie publié la même année et mieux connu sous le nom de Cas Dora. Ce texte, dont les critiques ont parfois tendance à oublier qu’il a été écrit alors que la psychanalyse était encore très jeune et qui se voulait au départ une illustration clinique du travail d’analyse des rêves, est souvent l’objet de commentaires concernant la conception freudienne de la femme.
Ces textes sur le rêve furent bientôt suivi d'une série de travaux cernant d'autres secteurs de la vie psychique normale auxquels Freud appliqua la même méthode d'étude qu'au rêve. En 1901, Freud publia d’abord Psychopathologie de la vie quotidienne, ouvrage dans lequel il recense toute une série de petits incidents comme les oublis de mots, les lapsus, les erreurs de lecture, d’écriture, les méprises et les actes manqués. Dans la même veine, il fait paraître en 1905 Le trait d'esprit et sa relation à l'inconscient, un texte dont l'intérêt scientifique dépasse la question de l'humour pour aborder des points essentiels du fonctionnement de la pensée.
Toutefois, le texte qui retiendra le plus l'attention de Freud en ce début de siècle est celui qui regroupe ses trois traités sur la vie sexuelle. D'abord publiés en 1905, ces trois essais seront l'objet de plusieurs rééditions que Freud révisera et modifiera continuellement. Ce texte, qui fut au départ, contrairement au mythe généralement colporté, reçu avec une certaine indifférence puisqu'il était alors courant de parler de la sexualité infantile, ne créa scandale que lorsque les lecteurs ont pris conscience que Freud ne parlait plus de la sexualité des sexologues mais qu'il venait de créer le concept de psychosexualité et qu'il en faisait l'essence même de la vie psychique.
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Au début du siècle, suite à la publication de l'Interprétation des rêves, Freud sortit petit à petit de son isolement. Il fut d’abord nommé professeur extraordinaire à la faculté de médecine et commença à organiser chaque mercredi des réunions avec quatre autres médecins: Alfred Adler, Rudolf Reitler, Max Kahane et Whilhelm Stekel pour discuter de ses travaux. Ainsi naissait la Société psychologique du mercredi, prototype des organisations psychanalytiques à venir.
L'enthousiasme des débuts, la fièvre créatrice et la passion pour la psychanalyse ont fait de ces années une grande période d'ébullition intellectuelle. Le groupe des disciples connut une croissance fulgurante. En quelques années, plusieurs de ceux à qui l'histoire reconnaîtra un rôle de pionnier vinrent se joindre au groupuscule de départ. Qu'il suffise de nommer Paul Federn, Eduard Hitschmann, Sandor Ferenczi, Karl Abraham, Max Eitingon, Ernest Jones, Ludwig Jekels et A.A. Brill pour donner une idée de la qualité intellectuelle et du dynamisme du groupe.
Le nombre des gens intéressés par la psychanalyse ou s'en réclamant força la mise sur pied d'une organisation plus structurée qui pourrait à la fois régir et assurer la survie de l'oeuvre de Freud. De fait, Freud était depuis longtemps hanté par l'idée qu'il allait mourir jeune. Cette crainte était issus de croyances irrationnelles reliées à son noyau névrotique. Aussi, Freud désirait-il jeter les bases d'une organisation qui assurerait la pérennité de la psychanalyse après son décès.
C'est dans ce contexte que Freud reçut vers 1906 un hommage chaleureux du grand Eugène Bleuler qui exprima sa sympathie pour la jeune science psychanalytique. Freud fut tout à fait charmé. Aussi, lorsque par l'entremise de Bleuler il entra en contact avec Carl Gustav Jung, Freud eut le sentiment de trouver enfin le fils spirituel apte à assumer le développement de la psychanalytique.
Lors de la première rencontre entre Freud et Jung en 1907, ce dernier etait déjà un personnage prestigieux. Assistant de Bleuler depuis 1904 à la célèbre clinique du Bürgholzli, Jung pratiquait la psychanalyse depuis déjà quelques temps. Freud fut hautement sensible au fait que Jung, contrairement à la presque totalité de ses disciples, n'était pas juif, ce qui constituait un net avantage à ses yeux pour la survie de la psychanalyse. Toutefois, Freud sortit de cette première rencontre assez déchiré, ressentant mais refusant de voir tout ce qui l'éloignait de celui en qui il allait s'entêter à voir un dauphin.
La relation entre Freud et Jung allait connaître au cours des années suivantes de nombreux rebondissements spectaculaires, Freud allant d'emballements en désenchantements. Ce lien passionnel n'est pas sans ressemblance avec la situation vécue dix ans plus tôt avec Fliess, Freud vivant la même profonde ambivalence envers un homme en qui il s'obstine à voir une sorte d'alter ego. Maintenant placé dans le rôle du père, Freud nourrit une méfiance face au fils spirituel qu'il soupçonne de vouloir lui ravir sa place. Cette situation se compliqua du fait que Jung était lui-même fort ambivalent face à Freud et à ses théorisations. L'histoire de leur relation donne parfois l'impression d'une sorte de valse hésitation où chacun, à tour de rôle, avance puis recule d'un pas.
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L'accroissement du nombre des personnes s'intéressant à la psychanalyse et commençant à la pratiquer incita Freud à publier toute une série de textes explicitant les principes techniques de la psychanalyse. Ainsi se succédèrent La méthode psychanalytique de Freud (1904), Perspectives d'avenir de la thérapeutique analytique (1910), À propos de la psychanalyse dite "sauvage" (1910), La dynamique du transfert (1912), Conseils aux médecins sur le traitement analytique (1912), Le début du traitement (1913), Remémoration, répétition et élaboration (1914) et Observations sur l'amour de transfert (1915).
En parallèle à l'exposé de sa technique, Freud s'attacha au cours de ces années à bien appuyer sa pensée sur la pratique clinique, cherchant par des exposés de cas à la fois à illustrer sa méthode et à convaincre de la justesse de ses élaborations théoriques. Les points de vue divergents au sein même du mouvement psychanalytique justifiaient cette démarche. Cette période nous a donc valu les textes généralement connus comme les cinq psychanalyses, soit Remarques sur un cas de névrose de contrainte (1909), mieux connu sous le pseudonyme de L'Homme aux rats; l'Analyse de la phobie d'un garçon de cinq ans (1909), le petit Hans; les Remarques psychanalytiques sur un cas de paranoïa (Dementia paranoides) décrit sous forme autobiographique (1911), le président Schreber et À partir de l'histoire d'une névrose infantile, le fameux Homme aux loups dont la publication fut retardée à 1917 en raison des contraintes imposées par la première guerre mondiale. À ces quatre textes il faut ajouter le cas Dora (Fragment d'une analyse d'hystérie) déjà publié en 1901 en appuie au livre sur le rêve.
Les cinq cas cliniques publiés par Freud sont devenus de grands classiques de la littérature psychanalytique et chacun a été l'objet de très nombreux commentaires au fil des ans. Écrits dans le style littéraire raffiné propre à Freud, ces textes sont effectivement d'un grand intérêt. Chaque cas apporte son lot de développements théoriques originaux et vient s'inscrire à la fois dans une démarche en perpétuel bouleversement et dans le contexte de confrontation des idées freudiennes aux critiques de ses adversaires et de ceux qui de l'intérieur commencèrent à marquer leur dissidence.
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Le groupe psychanalytique prenant de l'expansion au point de compter, dès 1908, plus de 23 membres à Vienne, apparurent des dissensions de plus en plus marquées à l'intérieur même du mouvement. La grande ouverture manifestée par Freud au cours des toutes premières années commençait à mettre en péril l'ensemble de la pensée psychanalytique. Il fut donc convenu de mettre sur pied une organisation qui veillerait à la bonne marche du mouvement. En 1910, la première «International Psychoanalytical Association» (IPA) fut fondée à Nuremberg. En mars de la même année eut lieu le IIème congrès (ils furent numérotés à partir de l’année 1908). Carl Gustav Jung en fut nommé le premier président, appuyé par Freud qui fit la sourde oreille aux mises en garde de plusieurs de ses principaux disciples.
Entre temps, la psychanalyse commença à recevoir certaines marques de reconnaissance. En 1909 l’américain Grandville Stanley Hall, professeur de psychologie et président de la Clark University à Worcester dans le Massachusetts invita Freud au vingtième anniversaire de fondation de l’université. Freud y donna une série de cinq conférences (De la psychanalyse, 1910) et fut nommé à cette occasion docteur honoris causa. Il fut accompagné pour son voyage de Jung et de Ferenczi, auxquels se joignirent les disciples déjà établis en Amérique, dont Jones et Brill.
Le voyage en Amérique, au cours duquel Freud aurait dit «ils ne savent pas que nous leur apportons la peste», parole rapportée par Lacan qui l'aurait lui-même appris de Jung, marqua un point important dans l'évolution de la relation entre Freud et Jung. La proximité des deux hommes mit en évidence à la fois leurs conflits respectifs et leurs divergences théoriques. Malgré tout, le voyage qui fut un impressionnant succès au plan de la propagation de la pensée freudienne n'amena pas Freud à reconsidérer son appui à la candidature de Jung à la présidence de l'API naissante.
Puis commencèrent les scissions dans le groupe. Ce fut d’abord Alfred Adler, qui ne fut jamais très apprécié par Freud, qui s'éloigna de la pensée psychanalytique en remettant en question l'importance de la psychosexualité et en favorisant une théorie où les rapports de domination occupent une place de choix. Adler quitta le groupe freudien en 1911 et créa un peu plus tard «la psychologie individuelle» qui connut des développements importants. Il fut suivi par Wilhelm Stekel qui, beaucoup plus ambivalent, tenta, sans succès de réintégrer le groupe plus tard.
La situation devint plus grave lorsque Carl Gustav Jung commença à exprimer avec de plus en plus d'insistance des opinions s’opposant à Freud. Jung en était venu à élaborer une conception de la libido qui évacuait la sexualité et introduisait de plus en plus d'éléments religieux et mythologiques dans sa pensée. Aussi, lors du IVème congrès international de psychanalyse (1913), les différences entre les différents protagonistes ne furent plus conciliables. Jung fut démis de ses fonctions de président par les partisans de Freud et fonda sa propre école de «psychologie analytique» qui trouva de nombreux adeptes auprès des philosophes et des psychologues de religion et qui constitue encore un important courant de pensée.
En prévision de ces déchirements internes, Ernest Jones avait eu l'idée de créer dès 1912 un comité secret , un groupuscule de psychanalystes triés sur le volet sur lequel Freud pouvait compter pour assurer la pérennité de sa pensée. Ce groupe ne devait avoir aucune existence officielle mais œuvrer plutôt dans l’ombre. Freud avait été séduit par cette proposition et offrit à chacun des membres une intaille grecque de sa collection montée en chevalière. Furent réunis ainsi autour de Freud, Ernest Jones, Otto Rank, Hanns Sachs, Sandor Ferenczi et Karl Abraham. L'absence de Jung, qui était alors encore président de l'IPA, est très révélatrice du peu de confiance que Freud avait en lui.
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Malgré la tourmente qui secouait le mouvement psychanalytique naissant, et peut-être même grâce à ces confrontations d'idées, la pensée de Freud ne cessait de se transformer et d'évoluer. Certains textes publiés dès 1910 préfigurent déjà des grands bouleversements théoriques qui marqueront les années vingt. Dès 1910, avec Un souvenir d'enfance de Léonard de Vinci, apparaît le concept de narcissisme, concept problématique que Freud tentera d'introduire dans sa théorie en 1914 dans le texte justement nommé Pour introduire le narcissisme. En 1911, Freud avait publié le court texte Formulations sur les deux principes du cours des événements psychiques qui servira d'inspiration aux nombreux auteurs qui se pencheront près de cinquante ans plus tard sur l'élaboration d'une théorie de la pensée.
L'éclatement de la première guerre mondiale en 1914 va changer la vie de Freud. Peu à peu le flot des patients va s'amenuiser, les plus jeunes collaborateurs partiront au front, d'autres seront coupés de lui pour appartenir à un pays ennemi, les conditions de vie deviendront plus dures et l'inquiétude pour ses fils partis combattre le détourneront de son travail. Freud se plongea alors dans un travail métapsychologique qui s'avéra plus ardu qu'il ne l'avait imaginé. Fatigué et préoccupé par les événements sociaux dans une ville de Vienne déjà engagée dans la désorganisation qui allait entraîner sa chute en 1938, Freud tente la rédaction d'un livre faisant une sorte de bilan de ses conceptions métapsychologiques.
Prévu au départ pour comporter douze essais couvrant l'ensemble du champ psychanalytique, ce travail de métapsychologie s'arrêta à la publication entre 1915 et 1917 de cinq textes: Pulsions et destins des pulsions; Le refoulement; l'Inconscient; Complément métapsychologique à la théorie des rêves; et Deuil et mélancolie qui sont généralement regroupés sous le titre commun de Métapsychologie. Des sept autres essais manquant, un seul nous est parvenu, par hasard d'ailleurs, Vue d'ensemble des névroses de transfert. Il semble bien que le projet de Freud de rédiger une sorte de somme de ses conceptions théoriques se soit heurté à l'époque à certains problèmes de logique interne.
En effet, alors que depuis presque les débuts de l'élaboration de la psychanalyse, Freud avait identifié la libido au facteur déstabilisant, l'opposant à la pulsion d'auto-conservation, les avancés théoriques plus récents, dont faisait partie le concept de narcissisme, faisaient de la libido un des moteurs essentiels de la survie de l'individu. Freud, dont la rigueur de pensée marque l'oeuvre du début à la fin, ne pouvait manquer de se questionner sur ces nouveaux développements. La période de la guerre et l'isolement qu'elle provoqua favorisèrent une profonde réflexion qui aboutira au début des années vingt à une importante refonte théorique marquée par une nouvelle théorie des pulsions et l'élaboration de la deuxième topique.
Bientôt Les dernières années, 1926-1939
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