EDOUARD ZARIFIAN, professeur émérite de psychiatrie et de
psychologie médicale :
« L’ACCÈS À UNE PLUS GRANDE LIBERTÉ »
Dernier ouvrage paru
Le Goût de vivre. Retrouver la parole perdue
aux Editions Odile Jacob (2005).
Je ne suis d’aucune chapelle, mais les luttes intestines qui
agitent la « planète psy » me navrent profondément. La
psychanalyse a été dans mon expérience de soignant un outil de
formation personnelle extraordinaire. Les psychiatres ont en effet
tout intérêt à s’intéresser au fonctionnement de leur propre
psychisme. Car cela leur permet de prendre conscience des
conditionnements susceptibles d’enfermer leur manière de
penser.
La psychanalyse donne accès à une plus grande liberté, c’est
incontestable. C’est une superbe technique pour mettre en pratique
le principe socratique du « Connais- toi toi- même » . En
revanche, ses indications en psychiatrie occupent une place assez
restreinte aujourd’hui. Les nombreux autres types de thérapies
sont plus dans les courants actuels. Tout en sachant bien qu’aucune
d’entre elles n’est capable de répondre à toutes les
situations cliniques.
Je reproche à la majorité de mes collègues universitaires de
vouloir former les jeunes psychiatres de façon exclusivement «
biologisante » . A de rares exceptions. Alors qu’il faudrait leur
apprendre à soigner les patients de façon éclectique, en
utilisant toute la palette des thérapies et des médicaments. Dans
les années 60- 70, un jeune interne en formation était quasiment
montré du doigt s’il ne suivait pas une analyse didactique.
A l’heure actuelle, ceux qui le font s’en cachent.
DR FRANÇOIS CAROLI,
chef de département de psychiatrie au centre
hospitalier SainteAnne à Paris :
«LES NOTIONS HÉRITÉES DE LA PSYCHANALYSE SONT TOUJOURS EN
VIGUEUR»
En fait, nous y avons toujours recours aujourd’hui, presque même
« sans le savoir » . Mais permettez moi un petit retour en
arrière. Après- guerre, où l’on ne disposait d’aucun
médicament réellement efficace, la psychanalyse était utilisée
comme modèle de relation interpersonnelle à l’intérieur
de l’institution psychiatrique ( c’était la
psychothérapie institutionnelle) puis ensuite à l’extérieur,
pour faciliter la réinsertion du malade.
La révolution des neuroleptiques au début des années 50, puis
celle des antidépresseurs et des sels de lithium ont
progressivement vidé les hôpitaux psychiatriques de leurs
patients. Tant et si bien qu’aujourd’hui l’essentiel des soins
est prodigué hors les murs. Mais la psychothérapie au sens large
reste incontournable dans le cadre d’une relation psychiatre-
patient. Les notions héritées de la psychanalyse – transfert,
contre- transfert – sont donc toujours en vigueur.
Certes, nous avons recours à d’autres thérapies – familiales,
ou de groupe, ou cognitivo -comportementales ( TCC) ou autres – en
fonction des problèmes à résoudre, mais toutes sont des
héritières directes ou indirectes de la théorie freudienne. En
réalité, nous avons complètement intégré à notre pratique les
données de la psychanalyse.
PR PHILIPPE JEAMMET,
psychanalyste, professeur de psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent,
Institut mutualiste Montsouris (Paris) :
«ELLE S’INTÉRESSE PLUS AU MAL-ÊTRE QU’À LA PATHOLOGIE
ORGANISÉE»
La psychanalyse s’intéresse plus au mal-être de l’individu qu’à
des pathologies organisées et bien définies. Dans une affection
mentale avec des symptômes précis, l’individu appauvrit ses
potentialités et s’enferme dans des comportements stéréotypés
très similaires d’une personne à l’autre. Le caractère
stéréotypé de ces manifestations a vraisemblablement une
composante biologique importante. Dans le cadre de ces affections «
bien organisées » , la psychanalyse, c’est-à-dire le « travail
de sens » peut agir sur le malêtre, mais très peu sur la
pathologie elle- même qui nécessite d’autres types de
traitement. L’analyse peut éventuellement avoir un rôle
préventif ou être une aide pour retrouver les potentialités
appauvries par certaines maladies, comme les troubles de l’humeur,
l’angoisse psychotique, la dissociation schizophrénique, les
troubles obsessionnels et compulsifs.
La psychanalyse a été victime de son succès. Un moment donné,
elle s’est posée comme un modèle capable de donner complètement
les clefs de l’organisation de la personnalité et du
fonctionnement psychique, comme si le mental était totalement
autonome du biologique. De manière abusive. Néanmoins, la
cure psychanalytique est une approche exceptionnelle du lien humain,
dans le maniement de la distance relationnelle, pour explorer la
profondeur des expériences. Elle donne du sens pour comprendre,
tolérer, médiatiser le lien avec les autres.
PR MARIE-CHRISTINE HARDY-BAYLÉ,
chef du service de psychiatrie au centre hospitalier de Versailles :
:«UNE APPROCHE DE LA CONNAISSANCE DE SOI »
Quand Freud a abordé la psychanalyse, il l’a d’abord
présentée comme une nouvelle technique de soins pour les patients
névrosés. Il a fallu se rendre à l’évidence assez rapidement
que la psychanalyse ne soignait pas autant que l’on pouvait l’espérer.
A cette désillusion, Freud a lui- même répondu : « La guérison
vient parfois de surcroît ». Au-delà de cela, la psychanalyse a
permis au psychiatre d’aborder les patients d’une nouvelle
manière, en prenant en compte ce qui se joue dans une relation
thérapeutique, ce qui est essentiel pour le processus
thérapeutique lui- même, ce que représente la souffrance pour le
malade, ce que représente le soin.
Situons-nous non pas dans une philosophie du sujet, mais dans le
cadre de la souffrance mentale qui relève de la démarche
soignante. Dans ce cadre, les psychiatres gèrent aujourd’hui
plusieurs théories du soin. Si l’on veut prendre en compte tous
les déterminismes mentaux, biologiques, cognitifs, analytiques,
sociaux, systémiques, de la souffrance mentale, on est contraint de
se poser à chaque fois la question : quelle est la stratégie la
plus efficace pour ce patient ?
Dans une perspective soignante, l’avenir de la psychanalyse, c’est
la psychiatrie. Si la psychanalyse ne s’intègre pas aux autres
modèles de soin, elle perd son éthique soignante puisqu’elle
oblitère les nouvelles connaissances qui peuvent profiter au
patient. Hors du champ du soin, la psychanalyse peut rester une
approche de la connaissance de soi.
PR JEAN-PIERRE OLIÉ,
chef de service de psychiatrie au centre
hospitalier Sainte-Anne, à Paris :
«UNE PLACE THÉRAPEUTIQUE TRÈS LIMITÉE AUJOURD’HUI
»
La référence à la théorie freudienne et son utilisation sont des
outils pertinents dans l’accompagnement et l’aide à la prise en
charge de la souffrance mentale, cela va de soi. Que l’on soit
psychothérapeute, médecin généraliste formé à la relation
médecin malade ( groupes Balint), et bien sûr psychiatre ou
soignant en psychiatrie. La conception psychanalytique a fait
exploser notre manière de concevoir la psychologie aussi bien
individuelle que collective.
Dans le champ des sciences médicales, en revanche, je serais plus
nuancé. Sa pertinence pour la compréhension des maladies mentales
doit être relativisée par rapport à il y a un siècle. La place
thérapeutique de l’analyse est aujourd’hui très limitée, car
d’autres stratégies thérapeutiques sont à notre disposition.
Mais elle prend une place de complément. Après une dépression par
exemple ou après un trouble anxieux, on peut proposer dans un
second temps une psychothérapie. Soit de soutien, basée sur une
bonne relation médecin- malade. Soit des thérapies plus
codifiées, d’inspiration analytique, etc. Mais contrairement à
ce que l’on a pu croire, on ne soigne pas toutes les affections
psychiatriques par l’analyse.
DR CHRISTIAN VASSEUR,
psychiatre à Annecy, psychanalyste, président de l’Association
française de psychiatrie :
«ELLE NE PEUT S’APPLIQUER À TOUS »
La psychanalyse reste la seule méthode pour comprendre le
fonctionnement psychique. Elle fait même partie du patrimoine de l’humanité,
selon l’Unesco. La psychanalyse reste une méthode thérapeutique
indiscutable, même si Freud a dit en son temps « que ce n’était
pas un traitement, mais que c’était la seule thérapeutique
possible. »
Les médecins qui prennent en charge la souffrance mentale sont
forcément obligés de penser avec la clinique de l’humain qui est
une clinique du sens, donc de la symbolique et de l’inconscient.
Dans cette prise en charge, que l’on soit toujours référé au
fonctionnement psychique par le biais des concepts psychanalytiques
me paraît quasi inévitable. Toutefois les différentes armes
thérapeutiques dont le médecin dispose doivent être choisies en
fonction du patient avec pondération et mesure. La psychanalyse ne
peut pas s’appliquer à tous : elle exige un désir, une
demande, une pédagogie, une information claire.
Dans la bagarre entre les différentes chapelles du champ de la
santé mentale, certains psychanalystes ou comportementalistes se
sont présentés comme les porteurs d’une nouvelle religion. Si l’on
écoute Hippocrate, « ce sont les sectaires qui idéologisent les
connaissances et en font des croyances ». |