A la Rencontre des idées et des pratiques en psychologie et psychanalyse

Souffrance mentale

Quel rôle aujourd’hui pour la psychanalyse face à la souffrance mentale ?
Propos recueillis par CATHERINE PETITNICOLAS 

06 mai 2006, (Rubrique Sciences & Médecine) 
Six psychiatres éminents donnent leur point de vue sur la place de la psychanalyse dans la prise en charge des troubles psychiques. 

EDOUARD ZARIFIAN, professeur émérite de psychiatrie et de psychologie médicale : 

« L’ACCÈS À UNE PLUS GRANDE LIBERTÉ » 
Dernier ouvrage paru
Le Goût de vivre. Retrouver la parole perdue
aux  Editions Odile Jacob (2005). 

Je ne suis d’aucune chapelle, mais les luttes intestines qui agitent la « planète psy » me navrent profondément. La psychanalyse a été dans mon expérience de soignant un outil de formation personnelle extraordinaire. Les psychiatres ont en effet tout intérêt à s’intéresser au fonctionnement de leur propre psychisme. Car cela leur permet de prendre conscience des conditionnements susceptibles d’enfermer leur manière de penser.

La psychanalyse donne accès à une plus grande liberté, c’est incontestable. C’est une superbe technique pour mettre en pratique le principe socratique du « Connais- toi toi- même » . En revanche, ses indications en psychiatrie occupent une place assez restreinte aujourd’hui. Les nombreux autres types de thérapies sont plus dans les courants actuels. Tout en sachant bien qu’aucune d’entre elles n’est capable de répondre à toutes les situations cliniques. 

Je reproche à la majorité de mes collègues universitaires de vouloir former les jeunes psychiatres de façon exclusivement « biologisante » . A de rares exceptions. Alors qu’il faudrait leur apprendre à soigner les patients de façon éclectique, en utilisant toute la palette des thérapies et des médicaments. Dans les années 60- 70, un jeune interne en formation était quasiment montré du doigt s’il ne suivait pas une analyse didactique. A l’heure actuelle, ceux qui le font s’en cachent. 

DR FRANÇOIS CAROLI,
chef de département de psychiatrie au centre hospitalier SainteAnne à Paris : 

«LES NOTIONS HÉRITÉES DE LA PSYCHANALYSE SONT TOUJOURS EN VIGUEUR» 

En fait, nous y avons toujours recours aujourd’hui, presque même « sans le savoir » . Mais permettez moi un petit retour en arrière. Après- guerre, où l’on ne disposait d’aucun médicament réellement efficace, la psychanalyse était utilisée comme modèle de relation interpersonnelle à l’intérieur de l’institution psychiatrique ( c’était la psychothérapie institutionnelle) puis ensuite à l’extérieur, pour faciliter la réinsertion du malade. 

La révolution des neuroleptiques au début des années 50, puis celle des antidépresseurs et des sels de lithium ont progressivement vidé les hôpitaux psychiatriques de leurs patients. Tant et si bien qu’aujourd’hui l’essentiel des soins est prodigué hors les murs. Mais la psychothérapie au sens large reste incontournable dans le cadre d’une relation psychiatre- patient. Les notions héritées de la psychanalyse – transfert, contre- transfert – sont donc toujours en vigueur. 

Certes, nous avons recours à d’autres thérapies – familiales, ou de groupe, ou cognitivo -comportementales ( TCC) ou autres – en fonction des problèmes à résoudre, mais toutes sont des héritières directes ou indirectes de la théorie freudienne. En réalité, nous avons complètement intégré à notre pratique les données de la psychanalyse. 


PR PHILIPPE JEAMMET,
psychanalyste, professeur de psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent,
Institut mutualiste Montsouris (Paris) : 

«ELLE S’INTÉRESSE PLUS AU MAL-ÊTRE QU’À LA PATHOLOGIE ORGANISÉE» 

La psychanalyse s’intéresse plus au mal-être de l’individu qu’à des pathologies organisées et bien définies. Dans une affection mentale avec des symptômes précis, l’individu appauvrit ses potentialités et s’enferme dans des comportements stéréotypés très similaires d’une personne à l’autre. Le caractère stéréotypé de ces manifestations a vraisemblablement une composante biologique importante. Dans le cadre de ces affections « bien organisées » , la psychanalyse, c’est-à-dire le « travail de sens » peut agir sur le malêtre, mais très peu sur la pathologie elle- même qui nécessite d’autres types de traitement. L’analyse peut éventuellement avoir un rôle préventif ou être une aide pour retrouver les potentialités appauvries par certaines maladies, comme les troubles de l’humeur, l’angoisse psychotique, la dissociation schizophrénique, les troubles obsessionnels et compulsifs. 

La psychanalyse a été victime de son succès. Un moment donné, elle s’est posée comme un modèle capable de donner complètement les clefs de l’organisation de la personnalité et du fonctionnement psychique, comme si le mental était totalement autonome du biologique. De manière abusive. Néanmoins, la cure psychanalytique est une approche exceptionnelle du lien humain, dans le maniement de la distance relationnelle, pour explorer la profondeur des expériences. Elle donne du sens pour comprendre, tolérer, médiatiser le lien avec les autres. 

PR MARIE-CHRISTINE HARDY-BAYLÉ,
chef du service de psychiatrie au centre hospitalier de Versailles :

UNE APPROCHE DE LA CONNAISSANCE DE SOI » 

Quand Freud a abordé la psychanalyse, il l’a d’abord présentée comme une nouvelle technique de soins pour les patients névrosés. Il a fallu se rendre à l’évidence assez rapidement que la psychanalyse ne soignait pas autant que l’on pouvait l’espérer. A cette désillusion, Freud a lui- même répondu : « La guérison vient parfois de surcroît ». Au-delà de cela, la psychanalyse a permis au psychiatre d’aborder les patients d’une nouvelle manière, en prenant en compte ce qui se joue dans une relation thérapeutique, ce qui est essentiel pour le processus thérapeutique lui- même, ce que représente la souffrance pour le malade, ce que représente le soin. 

Situons-nous non pas dans une philosophie du sujet, mais dans le cadre de la souffrance mentale qui relève de la démarche soignante. Dans ce cadre, les psychiatres gèrent aujourd’hui plusieurs théories du soin. Si l’on veut prendre en compte tous les déterminismes mentaux, biologiques, cognitifs, analytiques, sociaux, systémiques, de la souffrance mentale, on est contraint de se poser à chaque fois la question : quelle est la stratégie la plus efficace pour ce patient ? 

Dans une perspective soignante, l’avenir de la psychanalyse, c’est la psychiatrie. Si la psychanalyse ne s’intègre pas aux autres modèles de soin, elle perd son éthique soignante puisqu’elle oblitère les nouvelles connaissances qui peuvent profiter au patient. Hors du champ du soin, la psychanalyse peut rester une approche de la connaissance de soi. 

PR JEAN-PIERRE OLIÉ,
chef de service de psychiatrie au centre hospitalier Sainte-Anne, à Paris : 

«UNE PLACE THÉRAPEUTIQUE TRÈS LIMITÉE AUJOURD’HUI » 

La référence à la théorie freudienne et son utilisation sont des outils pertinents dans l’accompagnement et l’aide à la prise en charge de la souffrance mentale, cela va de soi. Que l’on soit psychothérapeute, médecin généraliste formé à la relation médecin malade ( groupes Balint), et bien sûr psychiatre ou soignant en psychiatrie. La conception psychanalytique a fait exploser notre manière de concevoir la psychologie aussi bien individuelle que collective. 

Dans le champ des sciences médicales, en revanche, je serais plus nuancé. Sa pertinence pour la compréhension des maladies mentales doit être relativisée par rapport à il y a un siècle. La place thérapeutique de l’analyse est aujourd’hui très limitée, car d’autres stratégies thérapeutiques sont à notre disposition. Mais elle prend une place de complément. Après une dépression par exemple ou après un trouble anxieux, on peut proposer dans un second temps une psychothérapie. Soit de soutien, basée sur une bonne relation médecin- malade. Soit des thérapies plus codifiées, d’inspiration analytique, etc. Mais contrairement à ce que l’on a pu croire, on ne soigne pas toutes les affections psychiatriques par l’analyse. 


DR CHRISTIAN VASSEUR,
psychiatre à Annecy, psychanalyste, président de l’Association française de psychiatrie : 

«ELLE NE PEUT S’APPLIQUER À TOUS » 

La psychanalyse reste la seule méthode pour comprendre le fonctionnement psychique. Elle fait même partie du patrimoine de l’humanité, selon l’Unesco. La psychanalyse reste une méthode thérapeutique indiscutable, même si Freud a dit en son temps « que ce n’était pas un traitement, mais que c’était la seule thérapeutique possible. » 

Les médecins qui prennent en charge la souffrance mentale sont forcément obligés de penser avec la clinique de l’humain qui est une clinique du sens, donc de la symbolique et de l’inconscient. Dans cette prise en charge, que l’on soit toujours référé au fonctionnement psychique par le biais des concepts psychanalytiques me paraît quasi inévitable. Toutefois les différentes armes 
thérapeutiques dont le médecin dispose doivent être choisies en fonction du patient avec pondération et mesure. La psychanalyse ne peut pas s’appliquer à  tous : elle exige un désir, une demande, une pédagogie, une information claire. 

Dans la bagarre entre les différentes chapelles du champ de la santé mentale, certains psychanalystes ou comportementalistes se sont présentés comme les porteurs d’une nouvelle religion. Si l’on écoute Hippocrate, « ce sont les sectaires qui idéologisent les connaissances et en font des croyances ». 

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