A la Rencontre des idées et des pratiques en psychologie et psychanalyse

Jean Didier VINCENT

Interview : Jean Didier Vincent
BIOLOGIE des PASSIONS
Cultures en Mouvement:
Vous êtes un des pionniers de la neuroendocrinologie. Est-ce qu'on peut définir brièvement cette discipline et l'apport central que vous avez proposé ?

Jean Didier VINCENT:
La neuroendocrinologie a eu une certaine époque où les champs étaient séparés: d'un coté le système nerveux, de l'autre les hormones, un système de communication à deux vitesses. Schématiquement, un système à vitesse lente, celui des hormones, qui régissait les équilibres des ensembles. Et puis un système nerveux qui était celui de l'adaptation immédiate, de la gestion de nos mouvements et de nos sensations. Cela est apparu dépassé. C'est à ce dépassement que répondait la neuroendocrinologie. On s'est rendu compte que le cerveau en fait présidait tout le fonctionnement de notre corps par des hormones, que lui même était une glande. Le cerveau sécrète des hormones qui règlent le fonctionnement des autres glandes, et en même temps, ces glandes sont capables de modifier le fonctionnement du cerveau, et dans son ensemble et dans certaines fonctions. Il y a donc un ensemble corps-cerveau qui est géré par ce que l'on peut bien appeler une neuroendocrinologie. Et l'ensemble de nos grands équilibres dépend de l'état de nos hormones, elles mêmes dépendant de notre cerveau, qui lui même dépend d'un environnement global que j'avais appelé l'état central fluctuant.

Cultures en Mouvement:
Les interactions hormonales, l'exitabilité des cellules endocrines impliqueraient une diversité des mécanismes régulateurs et même une "biologie des passions" ?

Jean Didier VINCENT:
Ce terme de "biologie des passions" mçontrait que nos passions ne sont pas réductibles mais se développent sur un fond commun d'hormones, d'équilibres nerveux qui gèrent, en quelque sorte, la relation de notre boutique avec le monde. Cet espace de subjectivité en fin de compte, ces relations du sujet au monde c'est ce que l'on appelle les passions. C'est à dire les grands comportements, les émotions, la sexualité, l'alimentation, le plaisir, la souffrance etc. Tout cela dépend d'équilibres hormonaux et de libérations dans le cerveau de neurotransmetteurs qui fonctionnent soit comme des nouveaux transmetteurs de proximité, soit comme des hormones qui se répandent dans des grands territoires du cerveau et gèrent de façon globale, certains comportements.

Cultures en Mouvement:
S'agit-il alors d'un déterminisme biologique ou au contraire d'un espace de liberté ?

Jean Didier VINCENT:
C'est toujours la même question. Determinisme biologique certes. Il n'y a pas de comportement, il n'y a pas d'actes, il n'y a pas de perceptions qui échappent à la biologie.

L'opération du Saint Esprit, à priori, n'est pas accessible à l'expérimentation ni même à la matérialité. Parler, c'est bien une opération des neurones. L'esprit n'existe pas dégagé de son contexte neuronal Ce qui ne veut pas dire qu''il n'ait pas lui même une certaine opérativité et qu'entre des mots se fasse des interactions, etc... qui , de toutes façonsss, vont agir toujours sur un corps déterminé. Ce qui n'enlève rien à la liberté d'un individu, mais celle ci est relative aux moyens que lui permet son corps. Avec certains gènes, on ne pourra pas faire ce que d'autres ferontt avec d'autres variants. Un grand, manifestement sautera plus haut qu'un petit et ainsi de suite. Il y a là tout un déterminisme mais avec une capacité pour l'homme de se déterminerr, de faire ses choix parce qu'il est doté d'une conscience réflective. Mais ça c'est de la philosophie. ça n'a rien à voir avec la biologie. N'empêche que c'est inséparable de la biologie. Il y a une sorte de monisme qui ramène l'esprit dans la matière.

Cultures en Mouvement:
Vous affirmez "Plus la surface de séparation entre l'individu et le monde est étendue, plus s'y introduit le jeu, plus le courant du désir et la force des passions viennent y faire des vagues". Que voulez vous dire ?

Jean Didier VINCENT:
La surface d'un visage chez un singe est relativement petite par rapport à celle de l'homme étant donné la multiplicité des formes que je vais pouvoir donner à ce visage qui, d'une certaine façon, augmente la capacité d'expression, donc l'interface avec le monde. La surface du corps est tellement mobile chez l'homme. Le langage qui est un interface avec le monde, les capacités sensorielles extraordinaires de discrimination, de traitement d'information qu'on a sur le monde, etc. Dès l'instant où il y a cette augmentation de surface avec le monde, le "je" ne fait que s'accroitre. La force des passions... Plus on est en interaction, plus le "je" est fort, plus la passion se déchaine parce qu'on lui laisse de l'espace pour s'étendre.

Cultures en Mouvement:
Vous dites que la sphère d'autonomie de la vie augmente par rapport à l'instruction des gènes et la sélection exercée par le milieu. "Des organes immatériels, les derniers à apparaître dans l'évolution qui mène à l'homme, sont fabriqués par l'individu: langage, culture, civilisation." Est-ce qu'il n'y a pass dans cette conception, un fondement biologique de la liberté ?

Jean Didier VINCENT:
Oui, d'ailleurs j'appelle le dernier article de mon ouvrage les chemins de la liberté. La liberté est fondée biologiquement ou elle n'est pas. Elle l'est dans la mesure où c'est le produit de l'histoire de l'évolution qui conduit, justement, à cette liberté de plus en plus grande, qui fait que l'homme est livré à ses passions, à ses choix, à cette conscience qui finissent par le déterminer.

Bibliographie

Biologie des Passions 1983 Coll Opus Ed Odile Jacob
Casanova, la contagion du plaisir (Prix Blaise Pascal) 1990 Ed Odile Jacob
Celui qui parlait presque 1993 Ed Odile Jacob
La Chair et le Diable 1996 Ed Odile Jacob


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