A la Rencontre des idées et des pratiques en psychologie et psychanalyse

Elysabeth BECLIER

Interview : Elysabeth Beclier
"Le corps est notre habit"
Je me suis intéressée dès l'enfance à tout ce qui touche à la santé à travers la connaissance des plantes. Plusieurs membres de ma famille, côté paternel, étaient un peu «guérisseurs » et savaient remettre une entorse, soigner un mal de ventre ou une insolation, en utilisant principalement le toucher. Ce qui m'a toujours semblé à la fois mystérieux et troublant.

J'ai commencé le dessin vers l'âge de 12 ans de façon totalement autodidacte. Le corps a vite été un sujet de prédilection. Depuis quelques années, des rencontres et des stages m'ont permis de découvrir et de travailler les différentes techniques que j'utilise aujourd'hui. Je suis passée progressivement de l'aquarelle géométrique aux pâtes acryliques, aux pigments purs, aux pastels, techniques plus « matérielles », plus « physiques »

Quant à la danse, nous la pratiquions beaucoup dans le cercle familial et j'ai pris rapidement conscience du fait qu'elle était un révélateur des personnalités, autant par ce que les danseurs montraient que par ce qu'ils essayaient de montrer ou de dissimuler. J'ai dû m'apercevoir assez vite de l'aspect intime et charnel, déguisé en fête de famille et j'ai refusé systématiquement d'y prendre part en résistant à la pratique et l'apprentissage jusqu'à 22 ans.

Quand je me suis décidée, je l'ai fait par l'intermédiaire d'une Ecole de danse, après avoir pris quelques distances avec mes parents.

Par les petites moqueries familiales et enfantines J'ai été sensibilisée très tôt à mon aspect physique, enfant bien portante, un peu rondelette, assez gauche dans les jeux sportifs, mal à l'aise et rougissante dans les relations avec les inconnus ou les personnes qui me tenaient à cour.

Le corps, ses formes, ses manifestations, sa « mise en scène », sa santé, ont donc toujours été en 1ère ligne, peut-être parce le connaître, le révéler et le faire accepter constituait une première étape de communication, non verbale mais essentielle.

Tout en travaillant pendant 15 ans dans le secrétariat médical, j'ai suivi des cours de médecines douces, de thérapies manuelles.

L'apprentissage de la danse a d'abord été un remède à la timidité. C'est ensuite devenu ensuite un loisir qui m'a amenée, par un hasard de circonstances, vers son enseignement jusqu'à devenir mon activité principale. Ce métier m'a permis de mieux connaître mon corps et celui des autres, de prendre en compte ses contradictions, de les contourner, d'appréhender un peu son système de communication pour pouvoir habiter et utiliser harmonieusement ce merveilleux instrument.

J'ai été frappée dès le début par tout ce qui peut passer par le simple contact d'une main,

l'expression du visage ou du regard : le plaisir, la gêne, la complicité, la condescendance de celui qui sait, la douceur et la contrainte, la maladresse des mains qui s'accrochent ou contraire leur extrême délicatesse. Tous ces mots, toutes sensations nous ramènent inévitablement au langage amoureux aussi bien dans ses aspects sentimentaux que purement physiques

La danse en couple a ceci de particulier qu'elle est une sorte de jeu de rôle. Le danseur est sensé guider et la danseuse suivre, l'homme prenant en charge le déplacement, voire le « transport » de sa partenaire, la femme devant se laisser faire (paroles de femmes), obéir (parole d'homme). Au 21ème siècle, ce genre de conception peut sembler désuète et même surréaliste, mais sans doute cela obéit-il à un besoin profond de définir les règles d'un jeu ancien et sophistiqué. Confrontation des principes masculins et féminins, jeux de séduction, parade nuptiale, « acte » symbolique, dans ce qu'il a à la fois d'archaïque et d'éternel, il nous parle d'intimité et d'émotions manifestées ou contrôlées, dont l'expression est elle-même codifiée. Notons au passage que la pratique occidentale est passée du côte à côte, de la ronde et du collectif, au face-à-face, ce qui pourrait être un écho de l'évolution des pratiques sexuelles dans l'histoire, d'abord uniquement destinées à la reproduction, puis passant progressivement à un système de « ciment » social (on en a peut-être un exemple avec les singes bonobo) avant de devenir une relation sentimentale d'individu à individu.

Dans le temps d'une danse, nous sommes bien dans le rapport intime, avec le corps et le mouvement comme vecteur d'une relation ritualisée. qui permet de ce fait même la plus grande sincérité ou au contraire la plus parfaite dissimulation ! Grâce à son côté convenu et théâtral, nous sommes protégés, nous pouvons donner une sorte de représentation et vivre une relation intense et / ou totalement virtuelle.

Prenons d'abord l'interaction des règles sociales de politesse (ou du manque d'éducation) au moment crucial de « l'invitation ». Il est curieux de constater que nous allons dire oui à l'un, non à l'autre après un regard extrêmement bref, cela aussi bien du côté des femmes que de celui des hommes. Qu'avons-nous bien pu décoder ? Enormément de facteurs semblent intervenir et rarement de façon très consciente : les a-priori sociaux (race, age, corpulence, habillement.)ou bien plus subtils, une odeur, une attitude, quelque chose dans le regard. Peut-être, comme les animaux sociaux, sommes-nous capables de prendre en compte des micro-mouvements plus révélateurs qu'un long discours, Suivant le contexte, soit nous laissons parler l'instinct, soit la « raison » intervient, allant à l'encontre de cette première réaction viscérale au nom de la concorde sociale.

Deux personnes qui n'ont aucun atome crochu peuvent alors se retrouver dans les bras l'une de l'autre. Parfois aucun des deux n'y prend plaisir, à part celui de s'inscrire dans une pratique sociale.

Dans d'autres cas, un seul y prend plaisir et, comme dans d'autres types de relations, celui qui n'a pas partagé cet émoi hésitera souvent à en faire état. Qui n'a pas connu ces moments où, pendant une soirée, nous essayons d'éviter un ou une partenaire dont l'empressement semble inversement proportionnel au peu de satisfaction que nous en retirons ! Mais parfois, nous avons la chance de vivre quelques instants parfaits quand, instantanément, le « feeling » passe.

Les corps et les mouvements s'accordent comme par magie le temps d'une danse, sensation qui se suffit à elle-même et qui cesse dès que les mains se lâchent.

Mais nous utilisons pour communiquer un outil dont nous connaissons bien mal les potentiels ou tout simplement le fonctionnement mécanique.

De même que le langage parlé a ses règles d'orthographe, de grammaire, de syntaxe, de sémantique, le corps a lui aussi ses règles, dictées par ses possibilités articulaires, musculaires, psychomotrices auxquelles nous avons accès grâce à un 6ème sens, la proprioception.

Et comme pour les grammaires fantaisistes ou les syntaxes approximatives, ce sens a lui-aussi ses ratées, comme si les sensations déclenchées par le mouvement arrivaient déformées au décodeur central ou bien partaient déjà déformées vers les récepteurs. Dans le temps d'apprentissage de la danse, nous nous retrouvons en train d'affronter une situation extrêmement bizarre. Nous comprenons ce qu'il faudrait faire mais le corps ne répond pas ou répond de travers.

Tout apprenti danseur a été confronté à des situations du type : au lieu de marcher naturellement, on se surprend à marcher pointe de pied en avant, comme un danseur classique. Ayant à gérer une situation complexe, le corps passe en pilote automatique.

Nous pouvons imaginer que cette complexité, ses implications émotionnelles, relationnelles voire sensuelles, brouillent à ce point les capteurs que nous perdons la capacité à exécuter ou contrôler nos mouvements. Le corps n'en fait qu'à sa « tête » et là-aussi, les parallèles sont certainement applicables à la relation amoureuse à ses débuts.

Pour conclure, je crois que la danse en couple, par ce qu'elle représente de symbolique, est une sorte de laboratoire permettant d'expérimenter les relations sociales et amoureuses sur plusieurs niveaux. De la simple conversation polie et un peu ennuyeuse à la grande histoire d'amour, des passions torrides aux sentiments éthérés, de la sensualité dissimulée sous un maintien irréprochable à l'érotisme sous-jacent ou manifeste des rythmes latinos.

Le plus curieux, c'est que cela a l'air de se faire presque à l'insu des protagonistes, comme si la danse en couple était un loisir comme un autre. Et c'est peut-être cette semi-inconscience (ou une certaine dose d'hypocrisie) qui lui permet de jouer pleinement son rôle, un genre de psychodrame à la portée de tous et à géométrie variable. Un peu « montre-moi comment tu danses et je te dirai qui tu es »


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